Jean-Luc Prévost : “Nous devons nous battre, encore et toujours, pour nos libertés dans l’espace public”

Jean-Luc Prévost : “Nous devons nous battre, encore et toujours, pour nos libertés dans l’espace public”
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Impact de la crise sanitaire sur les arts de la rue, bilan des pertes pour les compagnies, compensations financières perçues, dissolution de la Paperie dans les Pays-de-la-Loire, proposition du 1 % Travaux Publics en faveur de la coconstruction artistique… Nous faisons le point sur tous ces sujets avec Jean-Luc Prévost, président de la Fédération nationale des arts de la rue.

Entretien.

Récemment, nous avons publié une enquête sur la Paperie, à la suite d’une lettre ouverte publiée par les compagnies. Vous avez émis plusieurs réserves quant à notre présentation des faits. Sur quoi portent-elles ?

Mon désaccord avec l’article que vous avez publié est que les tutelles n’y étaient pas pour grand-chose. Au contraire, le grand mot qui revient tout le temps, c’est : « Quel gâchis ! ». L’adjoint à la culture de la ville d’Angers a fait ce qu’il a pu pour essayer de sauver la Paperie, mais les réunions n’ont pas été constructives. Vous insistez par exemple sur l’irruption du politique alors que, dans ce dossier, il s’agit essentiellement d’un problème de gouvernance – ce que vous mentionnez d’ailleurs très justement à la fin de votre papier.

C’est précisément le point où nous voulions en venir : l’absence de mise en chantier des droits culturels implique nécessairement des jeux de pouvoir, du fait non seulement qu’il y ait une tête unique qui décide de tout, mais aussi que les arbitrages politiques se font parfois brutalement, sans que tous les interlocuteurs concernés soient concertés.

Je suis en parfait accord avec vous sur la question des droits culturels. Dans le cas présent, cependant, le politique n’y est pour rien : il y a même eu un rapport, il y a deux ans, sur le projet Paperie. En l’occurrence, il s’agit bien ici d’un problème de gouvernance : il y a d’ailleurs plus généralement un grave problème de gouvernance dans le monde artistique. Dans votre papier, vous écrivez qu’un journal comme Profession Spectacle n’a pas à s’intéresser aux problèmes relationnels particuliers. Voilà un point avec lequel je résonne : nous avons le même angle de vue, à savoir que ce n’est pas tant la personne qui nous intéresse que ce qu’elle porte. C’est le CNAREP comme outil que nous avons travaillé à défendre. Nul ne peut devenir propriétaire d’un Centre national. Un tel outil doit vivre en dehors de la personne et faire l’objet d’une coconstruction, dans l’esprit des droits culturels. En filigrane, cela pose évidemment la question des nominations : les institutionnels décident sur la base de projets sans vérifier la capacité des personnes à les mener, à diriger, à dialoguer, ni même penser à les former pour mener leurs équipes. Nommer une seule personne, c’est également très dangereux ; je suis par exemple pour les binômes ou plus de collégialité, afin d’en finir avec les « moi je » et les présidences verticales. Il est temps que ces injonctions venues d’en haut cessent pour de bon ! C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles la Fédération nationale des arts de la rue est membre de l’UFISC, qui œuvre à cette réflexion collective, qui souhaite réunir les uns et les autres, au-delà de nos seules corporations. Est-ce que le directeur de la Paperie a réussi à créer ces liens fondamentaux sur le territoire des Pays-de-la-Loire ou a-t-il plutôt joué solo ? Telle est la question à se poser, à la lumière des droits culturels.

La dissolution de la Paperie marque-t-elle un tournant pour les arts de la rue dans les Pays-de-la-Loire ?

Ce qui est certain et pénible à vivre, c’est que nous assistons à la fin d’une histoire. Mais ce n’est pas pour autant que tout s’arrête ! Cette tristesse que nous ressentons actuellement sera peut-être une belle opportunité pour mieux rebondir par la suite. Car le ministère de la Culture a bien établi un budget 2021 pour quatorze CNAREP, et non treize… Cela donne des perspectives, même s’il est encore trop tôt pour en dire davantage. Ce qui est sûr, c’est que les arts de la rue ne cesseront pas d’exister dans la région des Pays-de-la-Loire, quelle que soit la forme qu’ils prennent. Je rappelle d’ailleurs que Les Accroche-cœurs, qui ont lieu chaque année en septembre à Angers, est le plus gros festival français d’arts de rue en matière de budget artistique, loin devant Aurillac et Chalon, et même l’un des plus importants sur le plan international. C’est là où vous pouvez encore voir de gros spectacles. Et je ne parle pas de toutes les initiatives expérimentales prises dans la région… Les Pays-de-la-Loire n’ont pas fini de vibrer au rythme des arts de la rue.

Parlons plus généralement des arts de la rue, dans le contexte douloureux que nous connaissons. Quel premier bilan dressez-vous de la crise sanitaire pour les arts de la rue ?

À ce jour, nous avons chiffré à 31,7 millions la perte des cessions. Nous avons à peu près mille compagnies sur le territoire : la moitié d’entre elles ont environ 18 000 euros de perte cette année en raison des cessions annulées, tandis que la moyenne générale pour une compagnie se situe autour de 31 700, car il y a évidemment des compagnies de tailles très différentes.

Les collectivités territoriales, qui sont vos principaux employeurs, ont-elles pu sinon honorer les contrats annulés, du moins verser des compensations ?

8 %… C’est le pourcentage des compensations financières perçues entre le 15 avril et le 28 septembre 2020. Autant vous dire que ce n’est pas grand-chose. En revanche, sur la même période de cinq mois, 24 % des organisateurs d’événements déclarent avoir perçu leur subvention en totalité. La fin d’année risque d’être déterminante. Si des structures sont en fragilité, il faut vraiment qu’elles fassent remonter l’information, car des structures labellisées sont excédentaires. Elles n’ont pas tout dépensé, vu ce qui s’est passé cette année, donc elles peuvent aider.

Lors de votre rencontre avec la ministre de la Culture, le 1er octobre dernier, vous avez émis plusieurs idées et propositions, dont celle du 1 % Travaux Publics (TP). En quoi consiste ce 1 % TP ?

Précisons d’abord que cela n’a rien à voir avec le 1 % artistique, comme certains ont pu le penser. Il s’agit, avec cette mesure, de ne plus penser la ville que par le bitume et la construction, mais aussi par les gens qui y habitent. Ce 1 % TP, c’est la part de vie intellectuelle et culturelle dès lors qu’on change quelque chose dans une ville, dans l’espace public : rénovation d’un quartier, construction d’un parc, aménagement d’une rue, ajout d’un rond-point… Dans chacun des budgets urbains, une part serait ainsi prélevée pour l’artistique – pour les arts vivants et pas seulement pour du pérenne, pour du construit – à destination des habitants. Ce 1 % TP, qui est un chiffre évidemment symbolique, serait ainsi destiné à créer ensemble, à faire humanité ensemble, à s’élever ensemble.

Quelles sont vos perspectives pour 2021 ?

On est très mal. Nous défendons le fait que nous n’avons jamais arrêté. Nous nous sommes battus depuis mars pour ne rien annuler, pour que festivals et événements culturels puissent avoir lieu. Ceux qui ont vraiment voulu faire, l’ont fait, pour peu que les relations entre organisateurs, organisatrices, équipes municipales et services préfectoraux soient à l’écoute des uns et des autres. Ça n’a pas toujours été le cas, loin s’en faut, et rien n’a été simple en 2020. Mais pour 2021, il est primordial et « essentiel » d’avoir la volonté, la pugnacité de ne surtout pas annuler. Il y a des outils pour cela sur le site de la Fédération nationale des arts de la rue et sans doute ailleurs ; il faut s’en servir et ne pas baisser les bras. Hors confinement, des festivals ont eu lieu. Mais pour les grosses compagnies ou les compagnies qui tournent beaucoup à l’international, comme c’est le cas de la mienne, la situation est encore plus catastrophique. Nous ne tournons pas du tout. Tout le monde tremble pour 2021, car nous pensons que cette année sera sur le même modèle que l’année 2020 : il ne se passera rien avant juin si nous ne nous battons pas. Or la saison pour les arts de la rue commence normalement autour de mars. Nous devons nous battre, encore et toujours, pour nos libertés dans l’espace public.

Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER

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Photographie de Une – Jean-Luc Prévost (DR)



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1 commentaire

  1. Jean luc Prévost est toujours aussi perspicace.. merci de l’avoir interviewé . c’est toujours plus pertinent que les bouts de phrase jetés sur facebooK

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