La participation : si on changeait de posture ? (2/2)

La participation : si on changeait de posture ? (2/2)
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Démocratisation de la culture, accès à la culture… Autant d’expressions qui impliquent un rapport de domination, de condescendance et de mépris. Il est temps de changer de paradigme : la vraie participation des publics aux arts et à la culture implique le respect de tous. Tel est précisément l’horizon des droits culturels.
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Lire la première partie :
La participation : évolution des pratiques (1/2)

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Dans une interview pour une structure belge, Roland Gori, psychanalyste et auteur, revient sur la racine du mot « religion » et l’associe au verbe « relier ».  Il ajoute que, dans ce sens, l’art est une religion laïque avec une fonction sociale qui est de relier les gens entre eux, répondre aux besoins et permettre aux individus de rêver et de s’enchanter. Cette fonction sociale de l’art peut être davantage développée par la mise en place de projets participatifs.

L’intérêt de la participation dans la culture est ainsi de se regrouper pour alimenter un processus créatif en partageant ses attentes, ses besoins, ses problématiques, ses idées ; s’engager dans une dynamique collective autour d’un projet commun ; expérimenter et découvrir des nouvelles pratiques artistiques pour devenir contributeur et plus seulement spectateur. Finalement, c’est sortir de l’isolement en rejoignant un groupe, créer du lien et de la confiance, puis partager ses savoirs dans le but, mais pas de manière systématique, d’avoir un impact concret sur notre société, sur des individus et des groupes.

Changement de posture

Selon le sociologue Lionel Arnaud, dans le reportage sur les arts participatifs au théâtre de la Poudrerie, réalisé par ARTCENA, la participation implique de manière sous-jacente un rapport de domination de la part des institutions, voire de certains artistes, envers des populations qui désertent les lieux de culture, s’éloignent de ces pratiques et créent en parallèle leurs propres formes à l’écart des institutions. Lionel Arnaud s’appuie sur l’exemple du secteur socio-culturel et des mouvements comme le courant hip-hop et les scènes alternatives.

Puis, il s’interroge : pourquoi encore utiliser des termes comme « démocratisation » de la culture, « accès » à la culture ? Ces termes, toujours employés par les représentants du ministère de la Culture, sous-entendent que ces populations n’ont pas de culture, qu’il faudrait en quelque sorte les « éduquer, civiliser, élever, émanciper »… D’après lui, l’enjeu de la participation doit aller plus loin. Lionel Arnaud insiste : pourquoi ne parlerions-nous pas d’une démocratisation des formes de création plutôt que de la démocratisation d’une seule culture ? Pourquoi ne favoriserions-nous pas les formes qui bousculent, en accompagnant des écritures qui respectent la singularité et la spécificité des individus et des groupes, plutôt que de tenter de greffer des contenus ?

Dans la partie précédente, nous avions laissé des questions en suspens : comment attirer ces groupes d’individus dans des lieux, favoriser leur participation dans des démarches artistiques qui ne les intéressent pas, ou plus simplement, qui ne leur parlent pas ? Comment encourager le groupe à rejoindre un projet participatif ? Faudrait-il que ce groupe ne soit plus seulement « opérateur, usager et témoin » mais qu’il coopère ? Est-il alors toujours question de participation ?

Lionel Arnaud y apporte un élément de réponse : changer de posture. Ce changement de posture signifie qu’il nous faut encourager et soutenir la pluralité des formes, proposer le travail en coopération avec les publics, les habitantes et habitants, en les invitant à choisir des contenus qui leur parlent. Cela pourrait permettre de favoriser leur implication dans les équipements de leur territoire, un retour aux pratiques artistiques, à des programmations éclectiques et locales, et de fait un élargissement des publics…

Unir et réunir, expérimenter et partager grâce à la dynamique d’un lieu

« Pour pallier l’isolement et dynamiser leur territoire, des citoyens créent depuis des années des tiers lieux afin de développer le “faire ensemble” et retisser des liens, explique le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Ces lieux sont des acteurs centraux de la vie de leur territoire. Leurs activités, bien plus larges que le coworking, contribuent au développement économique et à l’activation des ressources locales. »

Ces lieux pensés, en premier temps, comme « third place » par le sociologue américain Ray Oldenburg s’imposent comme troisième espace de vie après nos lieux d’habitation et nos lieux de travail. Ce troisième devient alors un lieu de vie et d’expression, rassemblant des identités et singularités. Pour ces lieux, les dénominations sont nombreuses : tiers-lieux, lieux intermédiaires, friches industrielles, culturelles, etc. « Autant de désignations qui, a priori, renvoient à autant de manières d’être ensemble, de travailler ensemble », selon la sociologue Isabelle Mayaud.

Néanmoins, une définition du lieu intermédiaire a été présentée dans le guide réalisé par Opale et l’UFISC ; elle semble correspondre particulièrement aux lieux artistiques, c’est-à-dire avec des « espaces de travail, de création et parfois de diffusion artistique et culturelle partagés. […] où se multiplient et s’amplifient expérimentations collectives et initiatives coopératives » et qui « mettent l’art à contribution pour réenchanter la ville, ou entrevoient de nouvelles écologies urbaines qui laisseraient plus de place aux sociabilités et à la participation active des citoyens. Tous ces imaginaires agissent sur les pratiques sociales, mais de façon fragmentée, et souvent avec une faible visibilité. »

L’aménagement de notre territoire via des lieux intermédiaires, émanant en général d’initiatives citoyennes, peut permettre la création d’une vie culturelle en accord avec les habitantes et habitants, et ainsi faire émerger des besoins et des nouvelles formes ou pratiques artistiques. La création d’espaces de démocratisation des formes de création, qui accueillent les singularités et les spécificités des individus et des groupes, est essentielle.

Fabriquer des futurs communs

Lors de la table ronde « Friches & initiatives citoyennes » au PAM festival, à Bagnolet, en octobre dernier, les intervenants ont été unanimes sur l’intérêt de la mise en place d’une phase de préfiguration d’un lieu afin de cerner les enjeux du territoire et des publics, puis encourager une coopération avec les habitantes et habitants. Difficilement réalisable pour les projets à petits budgets, il est, toutefois, vivement conseillé d’engager des démarches de concertation et de pédagogie avec l’ensemble des parties prenantes ; afin de fabriquer des futurs communs et éviter, une énième fois, d’imposer un projet déjà établi et dont les publics de proximité n’oseront pas s’emparer.

Cette démarche de concertation a pour principale mission de créer un dialogue bienveillant, afin de s’interroger individuellement et collectivement sur les envies, les besoins, les attentes et inévitablement sur les droits culturels.

« Les droits culturels désignent les droits, libertés et responsabilités pour une personne, seule ou en groupe, avec et pour autrui, de choisir et d’exprimer son identité et d’accéder aux références culturelles, comme à autant de ressources nécessaires à son processus d’identification, explique Patrice Meyer-Bisch, président de l’Observatoire de la diversité et des droits culturels, et coordinateur de la chaire UNESCO droits humains et démocratie au sein de l’université de Fribourg. Ce sont les droits qui autorisent chaque personne, seule ou en groupe, à développer ses capacités d’identification, de communication et de création. Les droits culturels constituent les capacités de lier le sujet à d’autres, grâce aux savoirs portés par des personnes et déposés dans des œuvres (choses et institutions) au sein de milieux dans lesquels elles évoluent. »

Ce fonctionnement en coopération inclut toutes les parties prenantes, c’est-à-dire les habitantes et habitants des quartiers alentours, le réseau associatif, les conseils de quartier et conseils citoyens à chaque étape de la construction du projet, dès la phase de préfiguration, puis tout au long de la vie du lieu.

Lors de ce travail en collectif, dès la phase de préfiguration, lors des différentes réunions publiques, des propositions thématiques peuvent émerger et enrichir les activités, les événements et les propositions artistiques du lieu. Le lieu constitue ainsi un groupe d’acteurs impliqués dans le projet qui pourra alors faire le choix de la programmation du lieu et assurer l’évolution d’un projet en phase avec son territoire.

« Les droits culturels, c’est faire le lien entre vie culturelle, vie éducationnelle et vie informationnelle, conclut Patrice Meyer-Bisch. Ce n’est pas seulement avoir accès à l’information et à l’éducation, mais c’est le droit à le vivre. »

Laura-Lou REY

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Lire les précédentes chroniques de Laura-Lou Rey, de l’éveilleur SCOP :
La participation : évolution des pratiques (1/2)
L’entraide dans la culture : la nécessité d’une logique éco-responsable (2/2)
L’entraide dans la culture : une urgence d’agir pour le collectif (1/2)

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Porteuse d’un projet intermédiaire, la coopérative avignonnaise l’éveilleur se définit comme un trait d’union entre les arts, l’écologie et le numérique. À la recherche d’un équilibre du vivant, les membres de la SCOP s’inscrivent dans une dynamique de changement écologique et social au cœur d’un écosystème créatif par l’expérimentation et l’innovation. L’éveilleur souhaite faire rayonner la participation citoyenne sur son territoire pour favoriser l’expression de chaque singularité et l’émancipation individuelle et collective. L’éveilleur tient une chronique mensuelle dans le journal Profession Spectacle depuis octobre 2021.


 

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