Laurence Herszberg : « Le cinéma n’est plus l’art royal de la télévision, les séries l’ont supplanté »

Laurence Herszberg : « Le cinéma n’est plus l’art royal de la télévision, les séries l’ont supplanté »
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Rencontre avec Laurence Herszberg, directrice générale de Séries Mania, et Francesco Capurro, responsable de son Forum européen des projets et des talents, pour parler de la nouvelle édition du festival, qui a lieu en ce moment même à Lille, jusqu’au 5 mai prochain.

L’intérêt pour la production et la coproduction européenne est-il, à l’instar du cinéma, une nécessité économique, artistique, ou les deux ?

Laurence Herszberg : Au départ, c’était une nécessité économique. L’arrivée de plateformes comme Netflix nous a montré qu’il y avait également un intérêt artistique, que les spectateurs sont friands de fictions étrangères en langue originale. Il n’y a qu’à voir le succès de La casa de papel, de Borgen ou de Marseille. Parallèlement se développe un intérêt de plus en plus marqué, côté américain, pour ce que l’on appelle “les contenus locaux”, parce qu’ils réalisent que pour être global, il faut avoir aussi du contenu local. C’est le pari que le Forum de coproduction va faire cette année : se détacher des sujets internationaux et montrer plutôt des histoires de niche pour voir si elles attirent l’attention de la coproduction internationale.

Les télévisions parviennent-elles à gagner de l’audience grâce aux séries ?

L.H. : Le cinéma n’est plus l’art royal de la télévision, les séries l’ont supplanté. Et ce phénomène remonte à avant l’apparition des séries. Je pense que le mouvement de déclin du cinéma était antérieur au renouveau de la série.

Les chaînes historiques détiennent quand même une part de marché très importante.

L.H. : Oui, mais en réalité pas tellement. Par exemple les chaînes françaises ont toujours beaucoup de cases cinéma, vu que les chaînes ont une obligation de production cinématographique, mais en Italie, par exemple, ce n’est absolument pas le cas.

Francesco Capurro : Parfois, on fait des médiamétries pendant les Forums, et on constate que la fiction fonctionne extrêmement bien en terme d’audience. Du coup, les chaînes traditionnelles leurs ouvrent de plus en plus de cases horaires.

L.H. : Mais c’est intéressant de savoir si ça profite plus aux télévisions, ou à des « pure player » comme Netflix. Clairement, Netflix ne va pas s’arrêter là, il rafle énormément de parts de marché. Ils jouent sur le volume, de sorte que les gens savent qu’il y aura toujours une série qu’ils apprécieront. Parallèlement, les chaînes du câble misent sur la qualité. Quand OCS reprend HBO, ils savent qu’ils bénéficieront d’une « production value » importante et de sujets différents du mainstream.

C’est la première fois que vous faites Séries Mania à Lille, qu’est-ce que ça va changer pour vous ?

L.H. : À Lille, le festival va rayonner sur toute la ville. Il conservera la même exigence de programmation, nous proposerons des séries du monde entier. Il s’agit également d’un événement populaire, car on invite les gens à retrouver les vedettes qu’ils ont aimé : Patrick Duffy (Dallas), Sofia Helin (The Bridge) … Il y aura des dîners préparés par de grands chefs et inspirés de Game of Thrones. Il y aura également un village du festival, ouvert au public, avec énormément d’animations : de la réalité virtuelle, une radio du festival, des dédicaces…

F.C. : Et Lille Grand Palais abritera nos évènements professionnels. C’est là que nous programmerons des pitchs, dont les pitchs du Forum de coproduction, qui ont fait notre succès.Nous nous réunissons en sessions plénières durant lesquelles on sélectionne quarante projets plus un autre que l’on choisit en partenariat avec la Berlinale. Au-delà de ça, on organise des tables rondes et des conférences. Cette année, nous avons ce que nous avons appelé le “Lille Transatlantic Dialogues”. Il s’agit d’une journée entière de conférences, en collaboration avec la Commission européenne et le CNC, qui vise à réunir pendant le Forum les décideurs de l’industrie audiovisuelle et les décideurs politiques pour discuter ensemble de l’avenir de la fiction et des séries en Europe.

Est-ce que vous avez un système de suivi pour les projets que vous sélectionnez ?

L.H. : Oui, il y a des projets en compétition qui sont nés au Forum, comme par exemple une série danoise nommée Warrior qu’on va montrer en compétition et qui est née au Forum de coproduction il y a deux ans. Et il y en a déjà une dizaine dans le même cas. Ça veut dire que ça répond à un besoin, et aussi qu’on ne s’est pas trop trompés dans les projets qu’on a choisi.

F.C. : Il faut aussi souligner que le secteur de la série est actuellement en forte croissance, et que les groupes audiovisuels ont des ressources. Quand un projet crée du buzz et de l’enthousiasme, tout s’enchaîne assez vite.

Une dernière question, peut-être pas facile ou sans réponse. Avez-vous l’impression qu’il existe une tendance dans les sujets des séries ?

L.H. : L’an dernier, le thème récurrent c’était les enlèvements ou les disparitions d’enfants. On avait presque envie de dire : “Mais qu’est-ce qu’ils vous ont fait, vos enfants, pour que vous passiez votre temps à les faire disparaître !” Cette année, on a remarqué une tendance sur la question des femmes et de leur destin. Une autre tendance qu’on a remarqué, c’est le pessimisme sur l’évolution de nos sociétés, une inquiétude qui se reflète dans les drames produits, qu’on s’interroge beaucoup sur l’avenir. D’un autre côté, on voit également beaucoup de comédies.

Concernant les comédies, il est vrai que le cinéma produit souvent des comédies qui ne sont pas exportables, est-ce pareil pour les séries ?

L.H. : La comédie s’exporte très mal, de toutes façons, même sous le format série. Je me souviens que c’est le seul programme que je n’ai jamais réussi à intégrer au Forum des Images. Un jour, j’ai voulu faire un programme appelé : Qu’est-ce qui fait rire nos voisins ? On a commencé à rassembler les plus gros succès de comédie de tous les pays d’Europe… puis on a arrêté, parce que ce qui faisait rire les Allemands nous apparaissait consternant, l’humour néerlandais n’en parlons pas… Bref, ça ne voyage pas.

Et du point de vue de l’écriture ? Plusieurs scénaristes m’ont parlé du modèle américain : travailler en équipe, avec un chef de projet, etc. Avez-vous remarqué une tendance similaire ?

F.C. : Ça existe mais c’est difficile à financer. Il est vrai que la « writer’s room » a fait ses preuves aux États-Unis. De notre côté, nous organisons pendant le Forum des simulations de « writer’s room » auxquelles les scénaristes pourront participer ou y assister en tant que spectateurs. Mais on remarque que cette tendance commence petit à petit à se structurer, en France, avec par exemple le Bureau des légendes.

L.H. : Et il y a aussi Dix pour cent. Ces « writer’s room » visent surtout à arriver à produire une saison par an, ce que l’on n’arrive pas encore à faire beaucoup en Europe. C’est pourtant ce rendez-vous annuel avec le public qui fait le succès d’une série, et les Américains l’ont bien compris. Il faut savoir que ce sont des initiatives plutôt chères et peu conformes à l’esprit européen. En effet, ici il y a la sacralisation de l’auteur. Donc, on n’observe pas encore complètement cette tendance, mais on sent qu’elle existe.

F.C. : En Belgique, la RTBF a eu une initiative intéressante en essayant de rassembler un vivier de jeunes talents et de leur donner une formation pour leur apprendre à travailler ensemble. En tout cas, l’envie de se rencontrer et de travailler entre auteurs européens est là. De plus, la nouvelle génération se débrouille plutôt bien pour écrire en anglais. Du coup, il y a effectivement un début de mouvement qui se profile.

Propos recueillis par Valerio CARUSO

Source partenaire : Cineuropa



Photographie de Une – Laurence Herszberg et Francesco Capurro (DR)



 

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