Le migrant et l’exil : un hymne poétique à la simple humanité

Le migrant et l’exil : un hymne poétique à la simple humanité
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Le comédien Christian Lucas incarne avec brio un migrant dans Le but de Roberto Carlos, pièce de Michel Simonot mise en scène par Pierre Longuenesse. Texte difficile, pari réussi !

Nous le savions déjà, le théâtre de texte est loin d’être mort. Il y a – parmi tant d’autres – Wajdi Mouwad et sa quête des origines immémoriales, Valère Novarina et son obsession du Verbe pur venu dans la chair du langage, ou encore Serge Valletti et ce quotidien simple, pénétré d’une chaleur toute méridionale.

Une pièce 100 % politique et 100 % artistique

Si ces thématiques universelles de la filiation, de la langue ou de la vie quotidienne trouvent encore des auteurs de théâtre à leur mesure, il manque aujourd’hui – souvent – une voix spécifique : le théâtre social et engagé. Rares sont les dramaturges qui abordent des problématiques actuelles, propres à notre temps, sans faire œuvre de propagande ou – au mieux – de reportage. Michel Simonot est de ceux-là. Son écriture ne cède en rien au combat qui l’anime ; sa plume forte et engagée trempe dans l’encre rouge de la lutte – en son essence – politique.

Le mot est lâché : politique – c’est-à-dire ce qui prend son origine dans la cité ou ce dont la cité est (à) l’origine. Cité promise, illusoire pour le migrant en quête d’une terre pour l’accueillir, cité que le metteur en scène Pierre Longuenesse traduit visuellement, avec l’aide de l’éclairagiste Jean-Gabriel Valot, par un carré lumineux au centre de la scène, aux angles pointus comme pour mieux s’enfoncer dans la chair de qui s’y approche impunément, cité carrée dans lequel le héros, interprété par l’impressionnant Christian Lucas, ne pénètre jamais.

La course effrénée de Christian Lucas : le spectateur saisi

La force du comédien est de rendre visuellement l’exode, de barbelés en murs, qu’il vit : le point de vue est essentiellement le sien, celui du jeune migrant qui traverse les espaces, qui sillonne les routes et piétine dans les différents camps jalonnant son avancée. Nous ne connaissons pas son nom : il est l’ami de Musa, l’auteur du saut embrassant la mort, il est l’épaule d’une fille au sang répandu ; il est le buteur Roberto Carlos qui s’élance pour mieux tromper son adversaire, il est le ballon déviant, qui s’éloigne pour revenir subrepticement et atteindre son but. C’est sans compter sur le filet, qui recueille, contient, enferme.

Soudain, au terme de cette course effrénée, arrive le jugement, incompréhensible et lapidaire ; il est temps que cet impertinent pèlerin, sans cause mystique autre que la vie elle-même, retourne chez lui. Commence alors une longue énonciation de tous les murs, sobre, efficace, terrifiante, qui friserait l’amalgame si le raccourci marquait la conclusion de la pièce. Mais il y encore l’Histoire, celle de l’homme qui reste perpétuellement en dehors, celle qui laisse apparaître en filigrane ce vieillard de l’Antiquité devenu aveugle de sa propre décision, cet ancien héros au nom imprononçable, ce rebut d’humanité qui n’entend qu’un refus prononcé.

En douze scènes et presque autant de styles littéraires différents, Christian Lucas nous entraîne à sa suite, comme un compagnon d’exil, comme un frère d’humanité. Un saisissement continu, de bout en bout, pendant 1h30, porté par l’intense vibration musicale de Franck Vigroux.

Une mise en scène sobre et réussie

Pierre Longuenesse a osé affronter un texte difficile : le pari est réussi. Le souffle de l’acteur se transmet dans un face à face sans distance avec le spectateur, comme si le dernier mur – celui de l’ignorance ou de l’indifférence – ne pouvait que tomber dans l’acte théâtral. Le metteur en scène a choisi la nudité scénique pour manifester la solitude de cet homme qui n’a que la parole pour exprimer la tragédie universelle. Telle est la véritable parole politique, universelle parce que profondément enracinée dans la personne humaine, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne.

Nous ne saurions que trop recommander que cette pièce soit donnée dans des salles sans espace entre acteurs et spectateurs, voire dans des lieux intermédiaires tels que des bibliothèques ou encore dans des espaces en extérieur, afin que l’art et la vie se fondent en une même réalité fraternelle.

Pierre GELIN-MONASTIER

Le texte de la pièce Le but de Roberto Carlos est édité chez Quartett.



Spectacle : Le but de Roberto Carlos
  • Création : date inconnue
  • Durée : 1h20
  • Public : à partir de 12 ans
  • Texte : Michel Simonot
  • Mise en scène : Pierre Longuenesse
  • Avec Christian Lucas
  • Musique : Franck Vigroux
  • Vidéo : Coline Yacoub
  • Lumières : Jean-Gabriel Valot
  • Conseil scénographie : Valérie Jung
  • Compagnie : Samovar
  • Administration : Dominique Le Floc’h au 01 40 90 97 89 ou compagniedusamovar [@] laposte.net


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