Les 80 ans de Romy Schneider et la mort du rock

Les 80 ans de Romy Schneider et la mort du rock
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Deux ouvrages désirent célébrer, chacun à leur façon, une disparition, la mémoire et la fin d’une époque : le premier est un long roman de Marie Desjardins racontant l’histoire d’une rock star archétypale des années 60 à nos jours ; le second se veut – sans y réussir – une biographie de référence consacrée à Romy Schneider, qui aurait eu quatre-vingts ans ce dimanche 23 septembre.

Ambassador Hotel : autopsie d’un rock révolu

La romancière canadienne Marie Desjardins vient de publier une vaste et intéressante chronique retraçant, par de nombreuses analepses, la vie d’un groupe de rock, alors que ce dernier effectue, entre 2014 et 2015, sa dernière tournée mondiale.

Marie Desjardins, Ambassador Hotel, éditions du CRAMRoman Rowan a vingt-trois ans lorsque, le 4 juin 1968, il s’apprête à enregistrer aux États-Unis, avec son groupe RIGHT, un premier album : une consécration pour ces jeunes garçons britanniques. La nuit de leur arrivée à l’Ambassador Hotel, le jeune Robert Kennedy y est assassiné. Ils composent immédiatement « Shooting at the Hotel », qui rencontre un succès planétaire. Hommage d’une jeunesse marquée par ce leader politique charismatique ? Exploitation de charognards prêts à tout pour entrer dans le monde fermé des rock stars ?

Près de cinquante années plus tard, alors que RIGHT entame son ultime tournée, l’ambiguïté continue de frapper le groupe, à commencer par son meneur, continuellement confronté à cette question des journalistes. De scène en scène, telle une mort à la scène, à la vie publique, Roman Rowan voit défiler toute sa vie, de son enfance monotone dans une famille pauvre de Twickenham à sa vie avec Jill et Chance, son épouse et sa fille : la double vie de son père, la rivalité avec Bronte, véritable fondateur du groupe qui finit par le quitter en 1997, le succès foudroyant, les femmes qu’il a aimées ou brisées, les tournées interminables, l’alcool omniprésent, son amitié indéfectible avec Clive, son retrait de la scène de 1973 à 1989…

« D’un pas mesuré, il avança sur la scène, jusqu’au micro. Ce soir, au centre Bell, à Montréal, la tension était étourdissante. Cinq milles fans le souffle suspendu. Frénétiquement silencieux. Pour ce public, ce serait la dernière chance d’entendre Roman Rowan, le chanteur de RIGHT. À moins de suivre le groupe dans sa toute dernière tournée en Amérique et en Europe, et alors assister à l’ultime concert d’adieu à Los Angeles, là où, presque cinquante ans plus tôt, tout avait véritablement commencé pour le mythique groupe britannique. Encore quelques secondes, immobile devant micro à faire durer le plaisir, et tous les spots projetteraient leurs faisceaux sur lui, l’éclairant comme une apparition, juste avant que la salle entière s’illumine à ton tour. À cet instant, Roman ferait ce geste mille et mille fois répété d’une scène à l’autre de la planète : feindre la surprise à la vue de tout ce monde réuni pour lui, et esquisser un sourire de contentement en écarquillant les yeux. Alors tout s’enclencherait comme une pièce bien rodée. »

1968 : l’année de création de Led Zeppelin, six ans après les Rolling Stones, deux ans avant Aerosmith et cinq avant AC/DC… À travers l’exemple fictionnel de Roman Rowan et de RIGHT, Marie Desjardins raconte avec minutie les espoirs, désillusions et excès de cette époque durant laquelle le rock régnait en maître, parvenant à nous en restituer l’atmosphère de manière presque parfaite.

Dans cette autopsie du rock, Marie Desjardins réunit plusieurs dimensions déjà présentes dans ses œuvres précédentes : l’art de la biographie, un goût pour les musiciens (Vic Vogel) et l’attrait pour des existences presque sulfureuses (Irinia Ionesco). Reconnaissons que ce roman faussement biographique a tout d’une passionnante chronique historique, tant l’auteure restitue fidèlement la lettre et l’esprit d’une époque.

Peut-être est-ce, dans le même temps, la limite de cet exercice : si les chapitres concernant l’enfance et l’histoire du groupe sont réellement intéressants, parce qu’en mouvement, ceux consacrés à la tournée finale patinent et finissent parfois par s’embourber, en raison d’une fascination jusqu’à la complaisance pour le héros, manifestée par les continuelles répétitions : concert, sexe et alcool (accompagnés de quelques réflexions sur son occasionnelle vie de famille). La formidable énergie de ce récit – de près de six cents pages – se transforme alors en indulgente description d’un vieux libidineux, aussi rock star soit-il.

Cette bienveillance jusqu’au-boutiste en fait une œuvre essentiellement destinée aux amoureux du rock, à tous ceux qui demeurent captivés par cette époque de tous les excès et qui aimeraient parfois la revivre : le roman de Marie Desjardins, sur ce point, est indéniablement réussi.

La dernière vie de Romy Scheider : une biographie jaune

Romy Schneider aurait eu quatre-vingts ans ce dimanche 23 septembre, si elle n’était pas morte – suicide ? excès involontaire ? la question demeure ouverte – en mai 1982, à l’âge de quarante-trois ans. Le journaliste Bernard Pascuito lui consacre une biographie que son éditeur Le Rocher – qui commet deux erreurs dans la seule première phrase de sa quatrième de couverture – n’hésite pas à qualifier de « référence ».

Bernard Pascuito, La Dernière vie de Romy Schneider, Le RocherRéférence ? Pour qui aime France Dimanche et Ici Paris, deux journaux que Bernard Pascuito a dirigés, peut-être… Nous y retrouvons ce ton « people » insupportable, fait de révélations insipides et de sentimentalisme débordant. Non seulement cette biographie n’apporte presque rien à ce que nous connaissions déjà de l’actrice, mais elle est tissée, entre deux faits notoires, de considérations insignifiantes et creuses sur différents enjeux fondamentaux de la vie humaine tels que la mort, la vie qui s’ensuit, le bonheur, l’amour, la souffrance…

Il n’y a pas à chercher loin : la quatrième de couverture (encore elle !) nous offre d’emblée un beau spécimen, reprenant la première phrase du premier chapitre… L’éditeur n’a pas cherché loin non plus, à croire que la facilité est contagieuse (puisse-t-elle, après que j’ai achevé les 278 pages de cette biographie, ne pas être pandémique !).

« Quand commence-t-on à mourir ? À partir du moment où on n’a plus peur de la mort. »

Ou encore :

« Avant Romy Schneider, d’autres ont vécu cet état incertain qui se rapproche de ce que doit être la vie après la mort, si tant est qu’il y en ait une. »

« Romy Schneider a trouvé dans la mort une sérénité qu’elle n’avait jamais approchée dans sa vie. »

Oui, parce que l’auteur, qui voit dans la vie après la mort un état incertain dont il ignore in fine l’existence, sait par ailleurs que Romy Schneider y est sereine. Allez comprendre…

Il n’est jamais agréable de constater que le journalisme jaune ne se contente pas d’exploiter les souffrances et espoirs d’une personne le temps d’un article, mais qu’il se répand encore dans des publications sensationnalistes et faussement scientifiques. L’auteur juge de tout, sonde les reins et les cœurs, sans se soucier des répétitions interminables ni des contradictions d’une page à l’autre. Seul compte le fabuleux, l’affabulation. Alors il nous indique qui sont les gentils et les méchants de l’histoire, en une dichotomie toute manichéenne, des fois que nous préfèrerions la complexité humaine ; il a la gentillesse de nous révéler dans son omniscience ce que pense et ressent Romy Schneider lorsqu’elle n’exprime rien…

Ainsi, dans le but de tirer avantage jusqu’à l’écœurement du tragique larmoyant, faut-il exploiter impitoyablement, sans pudeur ni retenue, la dernière année – « la dernière vie » comme l’indique le titre de l’ouvrage, explicité dans son ultime chapitre – de Romy Schneider, celle comprise entre la mort accidentelle de son fils David, le 5 juillet 1981, et la sienne.

J’avais pris la résolution, voilà quelques mois, de ne plus écrire de critique à charge, mais l’exploitation de l’homme – ici, une femme – par l’homme continue de me révolter. Je ne dis évidemment pas que telle fut l’intention consciente de Bernard Pascuito ; tel est néanmoins le résultat auquel, me semble-t-il, il parvient.

Pierre GELIN-MONASTIER

Références

Marie Desjardins, Ambassador Hotel, Éditions du Cram, Canada, 2018, 593 p., 19 €

Bernard Pascuito, La dernière vie de Romy Schneider, Le Rocher, 2018,  278 p., 18,90 €



 

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