Lisiane Durand : « Projet Grèce parle de travailler avec son pessimisme »

Lisiane Durand : « Projet Grèce parle de travailler avec son pessimisme »
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Lisiane Durand est une jeune auteure diplômée en 2018 du département dramaturge de l’ENSATT. Sa pièce Projet Grèce, lauréate 2018 des Journées de Lyon des auteurs de théâtre, sera publiée aux éditions Espaces 34 courant 2019.

Lisiane Durand est l’invitée du mois de novembre pour les rencontres ALT. La soirée “Émulsion Culturelle”, ouverte à toutes et tous, aura lieu au Pitch Me à Paris le 9 novembre. Cette soirée proposera des lectures d’extraits de Projet Grèce ainsi que de multiples propositions artistiques inspirées par la pièce. La soirée “Infiltration”, sur inscription, aura lieu à La Colline – théâtre national, le 17 novembre.

Entretien avec Lisiane Durand.

Comment décrirais-tu ta pièce Projet Grèce en quelques mots ?

Avant tout, c’est l’histoire d’un parcours, c’est un moment de vie. Projet Grèce parle des difficultés économiques et sociales auxquelles la population grecque est confrontée, mais la pièce est centrée sur la notion d’engagement et sur la manière dont on surmonte le pessimisme ambiant.

Pourquoi ce thème ?

J’ai commencé à m’intéresser à la « crise » grecque (je n’aime pas ce mot car, à mes yeux, il ne reflète pas la profondeur du problème) au début de l’année 2015, lorsque Aléxis Tsípras a été élu Premier ministre. À l’époque, j’étais active dans un milieu d’extrême-gauche et son élection représentait un certain espoir : est-ce que les Grecs allaient dire non à la pression de l’Union européenne ? Je me suis rendue à cette occasion en Grèce durant l’été 2015, au moment du référendum. Il y a eu un important revirement de situation puisque les citoyens grecs ont répondu « non » à la poursuite des plans d’austérité… mais ceux-ci ont continué. En me retrouvant sur place, la situation m’a atteinte sensiblement ; cela m’est resté dans la tête et j’ai eu besoin d’écrire cette pièce.

La pièce comporte-t-elle une part d’autofiction ?

Projet Grèce est une fiction dans laquelle j’ai utilisé mon expérience personnelle pour des besoins de construction dramaturgique : pendant l’écriture, j’étais parfois noyée dans la connaissance des enjeux complexes de cette histoire, notamment économiques. En relisant des mails personnels de l’époque, j’ai compris qu’il fallait que je prenne la porte intime de l’histoire. Puisque j’avais tenu moi-même une correspondance pendant cette période, j’étais légitime à l’utiliser pour parler des événements de la Grèce contemporaine.

Dans ta pièce, on lit donc des échanges de mails, des liens internet, des contenus de vidéo… Pourquoi apporter au théâtre ces éléments numériques ?

Pour parler de l’événement politique et de l’événement intime, j’ai trouvé intéressant de questionner ce rapport aux communications modernes. Lorsque j’étais en France, je suivais les événements grecs, je m’en faisais une idée, puis je suis allée en Grèce et… j’ai eu l’impression qu’il ne se passait rien, ou du moins pas du tout ce que j’avais lu dans les médias. La grande histoire, tu ne la vois pas quand tu la vis. Tu ne vois jamais un grand événement historique arriver, tu as besoin de prendre du recul.

Je fais partie de la génération qui a grandi avec internet ; c’est un lieu où je projette de la sensibilité, il fait partie de mon quotidien et c’est un de mes principaux moyens de communication. Quand un événement se passe à l’autre bout de la planète, on le lit dans les journaux, on le découvre sur internet… Il y a un rapport de fantasme et de projection qui s’installe lorsqu’on reçoit l’information. Si on correspond avec quelqu’un sur place, c’est la même chose. Et à travers le téléphone, il y a toute l’intimité de ce qu’on efface ou de ce qu’on écrit sans envoyer. Au final, je m’intéresse à la dimension spectaculaire d’un échange qui n’est pas incarné par un humain directement.

Comment questionnes-tu le militantisme dans ta pièce ?

Je vais peut-être dire une bêtise mais je n’ai pas l’impression qu’on soit dans un moment où le théâtre a vraiment une vocation militante. Et je ne pense pas que cette pièce initie un engagement particulier chez les gens. Oui, j’ai envie que des lecteurs puissent penser : « tiens, en 2015 en Grèce, que s’est-il passé ? », mais ce que je propose est un témoignage qui questionne la notion d’engagement et ce notamment en dehors d’un parti politique. Projet Grèce parle du fait qu’on puisse être désillusionné, tout en continuant à agir, ou à vouloir le faire. Cela parle de travailler avec son pessimisme, d’une énergie qui demeure et reste active quand tout pourrait l’ébranler…

Quelle couleur pour ta pièce ?

Rouge, Exarcheia [quartier anarchiste d’Athènes, NDLR], c’est rouge !

Quelle odeur ?

L’odeur d’Athènes, notamment celle du café.

Quel(s) bruit(s) ?

Celui de la ville en mouvement, des voitures qui ne s’arrêtent jamais et de toutes les voix qui en sortent !

Quelle est ta première émotion théâtrale ?

Dans la solitude des champs de cotons de Bernard-Marie Koltès. J’étais en khâgne à l’époque et je ne me destinais pas à l’écriture dramatique. J’avais d’ailleurs une vision du théâtre qu’on pourrait qualifier de cliché, mais en lisant Koltès, j’ai trouvé ça incroyable. Je me suis dit : « si ça, c’est du théâtre, alors je veux bien écrire pour le théâtre ! »

En ce moment, quels sont tes projets ?

Je travaille actuellement en tant que dramaturge avec deux marionnettistes pour une pièce de théâtre documentaire (objet et marionnette) sur les drones militaires armés. Par ailleurs, deux autres textes sont en cours d’écriture : un premier sur le rapport quotidien au nucléaire, réalisé grâce à des entretiens menés avec des habitants proche d’une centrale ; le second, qui aboutira à une performance, au sujet du meurtre d’Alexandros Grigoropoulos à Athènes en 2008.

Avant qu’ils ne découvrent la pièce, as-tu quelques mots à partager avec les lecteurs ?

J’aimerais leur demander : « Comment est-ce que vous gérez l’engagement ? Comment, si cela vous intéresse, vous vous engagez ? ». Enfin, déjà, bonne lecture et bon voyage !

Propos recueillis par Annabelle VAILLANT

Découvrez toute la programmation 2018-2019 de ALT

Soirées autour de Projet Grèce de Lisiane Durand :

Émulsion culturelle

Infiltration (inscription obligatoire)

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Photographie de Une – Portrait de Lisiane Durand (crédits : Marie Tragousti)



 

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