Odéon, Ô des espoirs !

Odéon, Ô des espoirs !
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Peut-être que par manque de culture, le gouvernement a sous-estimé un fait capital. Le Théâtre, au coeur de la cité, est un lieu éminemment politique.

Arrêt Buffet

Au premier soir de l’occupation du théâtre de l’Odéon, le jeudi 4 mars, j’ai eu une discussion intéressante avec un de mes amis qui ne comprenait pas cette action… Quel est l’intérêt, me disait-il, d’occuper un théâtre fermé ? Ça ne gêne personne… Alors, bien sûr, il y a le côté symbolique de l’Odéon mais à part ça… À quoi je lui avais répondu, il ne faut jamais laisser entrer le renard dans le poulailler…

Je serais tenté de dire, comme d’habitude le pouvoir n’a rien vu venir… Il n’était pas le seul. Dans le milieu du spectacle vivant, peu de monde aurait misé un kopeck sur ce mouvement au soir du 4 mars… La plupart des avis, commentaires que j’ai entendus, lus, durant les premiers jours de l’occupation étaient soit dubitatifs dans le meilleur des cas, soit carrément négatifs. Attention, je ne dis pas que du haut du cinquième étage de mon immeuble parisien, j’avais tout vu venir… Loin de là. Mais certains indicateurs permettaient de penser que l’occupation de l’Odéon pouvait être l’étincelle qui provoquerait un feu de brousse. Au moment où j’écris, nous en sommes à près de 80 théâtres occupés à travers toute la France.

Il ne faut jamais laisser entrer le renard dans le poulailler… Parce qu’après, c’est trop tard.

Le côté symbolique du théâtre de l’Odéon… Bien sûr, évidemment. Mais qu’est-ce qu’il s’est passé dans ce théâtre en mai 68 pour que, plus de 50 ans après, on utilise le passé pour faire vivre un mouvement au présent. Pour lui donner d’entrée une charge historique, revendicative et émotionnelle qui interpelle chacun et chacune d’entre nous.

Les pouvoirs qui se succèdent, au fil des élections, trop occupés à faire l’Histoire, commettent tous la même erreur en ne lisant pas, justement, les livres d’Histoire… Il est certain que tout n’est pas écrit. Que l’Histoire n’est pas forcément un éternel recommencement. Mais tout de même… Si tout n’est pas écrit, la trame existentielle depuis Pénélope ressemble à s’y méprendre à nos joies et tourments contemporains…

Dans mes propos, je ne fais aucun lien, aucune comparaison entre l’occupation actuelle de l’Odéon et les évènements de mai 68. Je focalise mon attention sur deux situations similaires, à 53 ans de distance, c’est à dire l’occupation d’un théâtre en plein cœur de Paris.

En mai 68, le gouvernement de l’époque a lui aussi permis l’occupation de l’Odéon. Laissant la patate chaude, bouillante, à son directeur Jean-Louis Barrault. Les AG, les réunions, les conférences se sont enchaînées à un rythme très soutenu. En quelques jours, le théâtre de l’Odéon est devenu le foyer central de la contestation. Le gouvernement de l’époque, comme celui d’aujourd’hui, a oublié, sous-estimé, un fait capital. Le théâtre, au cœur de la cité, est un lieu éminemment politique. Un endroit qui depuis des siècles favorise le débat et les échanges d’idées… On s’empoignait dans les théâtres, on se bagarrait dans les théâtres ! Et souvent ce qui mettait le feu aux poudres, c’était des pièces de théâtre ! En ces temps de pensée unique, de propos formatés et de bourrage de crânes intensif, il suffit de pas grand-chose pour réveiller le bel endormi… Pour que le théâtre redevienne ce qu’il a toujours été… Un lieu qui appartient au peuple. Pour le peuple. Avec le peuple.

Le théâtre n’appartient pas à une catégorie sociale. Le théâtre appartient au peuple. Il ne faut jamais oublier ce principe, sinon vous n’êtes pas un artiste mais un courtisan… Nous, les gens de théâtre, nous ne devons pas ignorer, par lassitude intellectuelle ou opportunisme mondain, une grande partie de la population… Nous serions responsables d’une terrible injustice… Une injustice qui priverait tous ces êtres humains de la plus belle voix de la démocratie. La voix des poètes…

Revenons à notre renard… Maintenant qu’il est dans le poulailler. Qu’est-ce qu’on va pouvoir inventer pour le faire déguerpir ? Eh oui… Ça ne va pas être simple cette histoire.

En mai 68, la préfecture de police de Paris, jamais à court de bonnes idées, avait imaginé la possibilité que des CRS passent par les égouts, se faufilent sous l’Odéon et pénètrent dans le théâtre grâce à une trappe secrète. Incroyable mais vrai. OSS 117 avec un zeste de Rouletabille. Comme vous vous en doutez, l’idée n’a pas franchement convaincu le locataire de l’Elysée de l’époque…

La question se pose aujourd’hui, avec acuité, pour le gouvernement Castex. On ne peut pas déloger des personnes d’un théâtre, en plein cœur de Paris, à grands coups de matraque. Non, ce n’est pas possible. En termes d’image, ça serait dévastateur. Le locataire de l’Élysée de maintenant, à un an des présidentielles, ne va pas se risquer à commettre une telle bourde…

En notre beau pays, dans l’imaginaire et la mémoire collective des Français et des Françaises, il existe deux types de bâtiments de pierre et d’esprit qu’il ne faut pas toucher, ce sont les églises et les théâtres. Mais ça aussi notre gouvernement républicain et laïc semble l’avoir oublié ou complètement sous-estimé… Car les églises sont ouvertes mais pas les théâtres.

L’intérêt et l’attrait du mouvement actuel résident dans le fait qu’il ne se limite pas aux revendications d’une catégorie professionnelle. Nous assistons enfin à l’émergence bien réelle de la convergence des luttes. Et que le point de départ de cette mobilisation à travers la France soit un théâtre, que les points de ralliement à travers la France soient des théâtres a une portée symbolique considérable pour le monde de la culture. Les artistes sont enfin de retour !

Depuis des décennies, les pouvoirs en place se sont évertués à dissocier les artistes du peuple. Comme si les artistes n’étaient pas une partie intégrante du peuple. Comme si nous étions des êtres à part. Jusqu’à nous faire passer, nous qui sommes précaires parmi les précaires, pour des privilégiés. Comme si on nous reprochait implicitement de gagner notre vie sans perdre notre temps. Ils ont la chance de faire un métier qu’ils aiment et en plus ils veulent être payés ! Exemple caricatural mais pas si éloigné de la vérité.

Le pouvoir se méfie des artistes car ils représentent le questionnement, l’incertitude, l’initiative originale qui peut, à terme, perturber le bon agencement d’une vie bourgeoise dans une société sous contrôle.

Quand on voit les réactions à la suite de la dernière cérémonie des César, on peut se dire que le pouvoir a presque gagné la partie. Heureusement tout est dans le presque… C’est comme si on refusait aux artistes la possibilité de parler des problèmes d’aujourd’hui, des maux de notre société. Comme si les artistes n’étaient pas légitimes pour évoquer les injustices du quotidien… Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont pas intégrés dans la société, ils vivent en marge, ils ne peuvent donc pas comprendre et surtout parler des dysfonctionnements de notre société. CQFD. On peut, à la rigueur, admettre qu’ils communiquent au sujet des problèmes liés à leur corporation mais parler des problèmes des autres mais pour qui se prennent-ils ? Tout simplement pour des citoyens et des citoyennes.

Ce n’est pas parce qu’on porte un smoking nœud papillon ou une robe de soirée qu’on est obligé de se taire… Bien au contraire, il faut saisir toutes les occasions pour porter la parole des opprimés.

Idem pour cette mobilisation protéiforme qui a conduit à l’occupation de l’Odéon et qui a lancé, avec succès, le mouvement d’occupation des théâtres à travers le territoire. Le mélange des genres, le côté hybride de ce mouvement peut poser question… Coordination de précaires et d’intermittents du spectacle, intermittents de l’emploi, CGT-Spectacle, des organisations professionnelles… En ce qui me concerne, j’ai une réponse. La convergence des luttes. La convergence de citoyennes et de citoyens en lutte.

Après un an de pandémie dû à la grande contagiosité d’un virus mais aussi à la grande incompétence, inconséquence, des gouvernements qui se sont succédé au pouvoir depuis une trentaine d’années, obsédés par l’économie, le CAC 40 et le MEDEF. Au point de supprimer des dizaines de milliers de lits d’hôpitaux qui seraient bien utiles aujourd’hui. Mais que pouvait-on attendre d’un homme qui compare la France à une Start-up Nation ? Après un an de privations de liberté, un an d’incohérences, un an de mensonges, un an d’incompétence, les Français et les Françaises ont bien compris une chose, claire et nette. Ils ont compris que la ligne directrice néolibérale du gouvernement n’avait pas bougé d’un pouce… L’exemple pathétique de la réforme de l’assurance chômage en est le parfait exemple.

Alors, les hommes et les femmes se retrouvent, se réunissent… Qu’importe d’où ils viennent, ils sont dans la même galère… Pour aller à contre-courant de la misère, il faut ramer ensemble. Il faut ramer sec.

Il y a quelques jours, j’étais présent à une AG au théâtre de l’Odéon. Des guides-conférenciers, des maîtres d’hôtel et des artistes ont chanté ensemble une chanson. Travailler encore… C’était beau. Avec un B majuscule. L’union fait la Force. L’union c’est la vie.

Philippe TOUZET

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Auteur de théâtre, scénariste de fictions radio, président des Écrivains associés du théâtre (E.A.T) de 2014 à 2019, Philippe Touzet tient une chronique bimensuelle dans Profession Spectacle depuis janvier 2021, intitulée : « Arrêt Buffet ».



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