OPCA, OPCO, Option ESS ? Promenade dans l’enfer des sigles

OPCA, OPCO, Option ESS ? Promenade dans l’enfer des sigles
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Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur des sujets notamment en lien avec l’ESS.



[Tribune libre*]

Le monde de la formation professionnelle est en pleine effervescence, car la loi l’oblige à se restructurer dans l’urgence. En deviendra-t-il moins opaque ? La question vaut d’être posée, car depuis les origines (la loi Delors remonte à 1971), ce secteur est mal perçu par l’opinion. On lui reproche son coût prohibitif et ses piètres résultats, on met en exergue certaines dérives ; voire, mais comment faire mieux ? Et surtout, comment faire mieux avec moins ?

Il y a dix ans, les OPCA (Organismes Paritaires Collecteurs Agréés) avaient été contraints de se regrouper afin que nul d’entre eux ne soit en dessous d’une « taille critique », fixée dans le plus grand arbitraire technocratique. Leur nombre est ainsi passé de 65 à 20 ; ainsi, à l’instar des maternités rurales, les petits OPCA ont disparu, y compris ceux qui correspondaient bien à un public réduit mais spécifique, et qui se sont retrouvés fondus dans de vastes regroupements plus anonymes.

Aujourd’hui, les 20 doivent devenir 11. J’ai d’abord pensé à faire une analogie avec les régions, dont le nombre avant et après les fusions (mais sans effusions) est du même ordre de grandeur. En fait, l’affaire est plus subtile. Il n’y aura plus d’OPCA mais des OPCO (OPérateurs de COmpétences) homogènes en termes de secteurs d’intervention, c’est-à-dire que la plupart des OPCA devront d’abord être éclatés en pièces détachées, puis celles-ci réassemblées pour constituer les nouveaux OPCO. Bien du plaisir en perspective à ceux qui devront changer leurs habitudes.

L’Économie Sociale est concernée à deux titres. D’abord parce que les OPCA dont relèvent ses entreprises et organisations vont se retrouver en de multiples tronçons, notamment les deux poids lourds associatifs UNIFAF et UNIFORMATION ; ensuite parce que bon nombre d’entreprises de formation, on l’oublie trop souvent, ont des statuts qui les font appartenir à l’Économie Sociale.

Sur le premier point, il me paraît évident que distinguer les compétences santé, cohésion sociale et services à la personne ne peut que renforcer une polarisation « métiers » au détriment des affinités entre associations, a fortiori de l’autonomie d’un pôle « Économie Sociale », les coopératives étant déjà, par nature, éclatées entre leurs différents secteurs d’activité. Sauf là où elles apparaissent en position de force (agriculture, services financiers, commerce de détail), elles seront noyées dans la masse (industrie, construction, transports…).

Et sur le second point, il convient de distinguer l’existant et les besoins latents, ce qui nous ramène à de bien classiques interrogations existentielles : mais qu’est-ce qui fait l’Économie Sociale ? Les statuts ou les valeurs ? L’intérêt des membres ou l’intérêt général ? Ou la vie démocratique ?

Commençons par une colle : connaissez-vous l’AFTRAL (naguère IFTIM) ? En général, personne ne connaît, en dehors de ceux qui y ont eu affaire, et encore. Eh bien l’AFTRAL est une des plus grosses associations de France, et de loin la plus grosse du secteur de la formation. Mais comme il n’y règne aucune vie associative, en dehors des fédérations professionnelles qui composent son conseil d’administration, nul ne songe à son appartenance, incontestable, à l’Économie Sociale. Les ministres, sous-ministres, délégués interministériels et aujourd’hui notre haut-commissaire, qui ont assumé la responsabilité politique de l’Économie Sociale depuis 1982, n’en ont certainement jamais entendu parler. Ils ont été bien contents néanmoins de bénéficier de sa contribution significative aux statistiques, d’emploi bien sûr, mais surtout de production.

Pour satisfaire votre légitime curiosité, sachez que l’AFTRAL s’occupe essentiellement de la formation des chauffeurs routiers. Elle affirme être, sur cette activité, la plus grande entreprise d’Europe. Or un camion, cela coûte cher. Et un camion école, encore plus. Donc tout cela brasse beaucoup d’argent. Et comme une association, contrairement à la moindre entreprise artisanale, n’est aucunement obligée de publier ses comptes (ne parlons pas des sociétés cotées, qui sont de véritables maisons de verre), il règne à l’AFTRAL une redoutable culture du secret. Au temps où je m’occupais de la statistique des transports, je tentai ma chance, lors d’un grand salon professionnel, au stand de l’IFTIM. Ma première question, toute innocente, portait sur le chiffre d’affaires de la boîte. L’hôtesse, affolée, fit venir son supérieur, lequel téléphona au sien, lequel finit par me proposer un rendez-vous, mais après le salon et sous la promesse expresse que tout cela resterait entre nous. Ce n’est qu’aujourd’hui que je lève la confidence. Vingt ans après !

Donc, l’AFTRAL est certes une association, mais question vie démocratique, on est aux antipodes. Pour autant, irais-je critiquer sa gouvernance ? Réclamer son exclusion de l’Économie Sociale, qui ne devrait être réservée qu’à des autogestionnaires purs et durs ? On entend souvent ce genre de déclamation purificatrice, sans trop saisir qu’en allant dans ce sens, on finira par se retrouver avec quelques cinglés, une poignée d’idéalistes et un large échantillon de Tartuffes. Je préfère prendre l’AFTRAL telle qu’elle est : elle travaille dans des métiers durs, soumis à des attaques permanentes, et s’appuie sur un univers professionnel certes éclaté en chapelles concurrentes, mais très structuré et très réactif. Autrement dit, elle est quand même démocratique, bien sûr très indirectement, mais elle l’est, dans la mesure où les intérêts de ses ayants-droits sont solidement et âprement défendus.

Il ne peut en être de même dans les secteurs où la structuration professionnelle n’est qu’embryonnaire, au premier rang desquels la culture et plus spécialement le spectacle.

Dans le futur OPCO « culture et médias », qui englobera les industries de la communication et les industries graphiques, le spectacle et ses intermittents, aux besoins de formation si spécifiques et si indispensables, ne se fera entendre que si en émergent des organisations d’Économie Sociale fortes d’une légitimité assise sur l’écoute et la participation de la multitude. Les manches ne demandent qu’à être retroussées. Bon vent !

Philippe KAMINSKI

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* Faut-il le rappeler ? Les tribunes libres n’engagent que leurs auteurs, dans la limite du respect de la loi.



 

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