Qui a peur de Melinda Moola* ?

Qui a peur de Melinda Moola* ?
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Bill Gates a bâti son empire sur une stratégie de piraterie imposée à la planète entière, dont on se demande après coup comment elle a été possible. Sa femme Melinda fut sa complice fidèle dans l’enfer qu’il nous imposa. Tous deux ont formé un couple infernal jusqu’à leur récente séparation…

Actualité de l’économie sociale
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Quand les cougars sont lâchés, il est bon de courir se mettre aux abris. Mais quand la bête qu’on nous annonce se trimballe avec dix milliards de dollars (ou vingt, ou trente, à ce niveau on ne compte plus), n’est-il pas tentant de ralentir le pas, de rester sur le chemin, de se risquer à un petit clin d’œil, à la dérobée ?

Eh bien non, ne vous y fiez pas, la cougar Melinda n’est pas pour vous. Avez-vous une tête à savoir gérer des milliards de dollars ? Bien sûr que non. Et d’ailleurs, qui sait faire ça ? Personne ne nous l’a appris. Ni à vous, ni à moi. Et je pense que Melinda est dans ce cas aussi, ce qui expliquerait en partie sa situation.

Depuis que les gazettes, les médias de grand chemin, nous ont annoncé la séparation du « couple de philanthropes » Bill et Melinda, il est difficile d’en savoir plus. Car ces tourtereaux retraités ont les moyens de s’offrir ce qu’il leur faut de discrétion, d’intimité comme ils disent. Nous en sommes réduits aux conjectures. Ou à faire marcher notre imagination ; après tout, n’est-ce pas mieux ainsi ?

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Les trop grandes fortunes sont rares, et échappent donc à toute loi statistique, à tout déterminisme des grands nombres. Chacune a son histoire bien à elle. On peut néanmoins en distinguer deux grandes catégories, selon leur degré de liquidité. À un extrême, vous avez la caverne de l’oncle Picsou, remplie de pièces d’or. Notre sympathique palmipède peut à tout moment les échanger contre des diamants ou des tableaux de maître, et vice-versa : sa fortune est entièrement liquide. À l’inverse opposé, vous avez l’homme le plus riche de France, Bernard Arnaud. Le calcul de sa fortune est purement virtuel, car celle-ci est entièrement investie dans l’entreprise qu’il dirige. Celle-ci ne vaut que parce que des milliers de salariés y travaillent, parce que des milliers d’épargnants veulent acheter ses actions, parce que des milliers de clients s’arrachent ses produits. Et il s’agit plutôt de dizaines, de centaines de milliers. Certes, avec ses dividendes, Bernard Arnaud dispose chaque jour, comme argent de poche pour ses menus plaisirs, de plus que ce que vous pouvez gagner en un an ; il n’en demeure pas moins que ce n’est là que l’écume d’une fortune totalement illiquide.

Ce qui est remarquable dans le cas de Bill Gates, c’est qu’il est passé en peu de temps du second état au premier. Après avoir rançonné le monde entier, ce maudit forban a quitté, encore jeune, la direction de Micro$oft avec un énorme paquet d’actions théoriquement invendables en bloc. Mais, dans le sillage de la croissance folle des GAFA, il a réussi à les écouler petit à petit pour se bâtir un patrimoine financier suffisamment diversifié pour ne dépendre de personne.

Oui, mais pour en faire quoi ? Quel sens peut avoir une telle puissance accumulée, et liquide, donc entièrement disponible, entre les mains d’un seul homme, d’un homme ayant largement démontré qu’il n’a ni moralité, ni principes ? Cela ne peut bien évidemment n’avoir aucun sens, sinon le jeu. Le pur jeu du pouvoir, le pur divertissement. Avec, au-delà du soutien à son parti politique préféré, les lubies délétères du transhumanisme et d’autres dingueries comme les Américains savent si bien les cultiver.

Il lui fallait aussi créer une fondation. Les fondations, c’est bien pratique, cela permet d’abord de payer moins d’impôts, ensuite de se donner l’image de quelqu’un qui fait le Bien. Et cette fondation, il la lance en couple, à parité avec Melinda, n’est-ce pas chic ? Les voici du coup élevés tous deux au rang de philanthropes, un qualificatif jadis élogieux qui devrait sous peu, grâce à eux, devenir synonyme d’escroc de haut vol.

La fondation des Gates a beaucoup fait fantasmer, mais n’a rien réalisé de spectaculaire, de tangible. Le temps des orphelinats, des léproseries ou des universités n’est pas le sien. Ses rapports d’activité sont d’une consultation décevante. On y trouve un éparpillement de soutiens mesurés à diverses ONG préexistantes, à divers programmes de l’OMS, mais aucun engagement fort en nom propre. En revanche, pour la communication, on est servi. De la contraception pour toutes les femmes africaines, des toilettes modernes pour toutes les familles en Inde, le tout à l’horizon 2030, si tout se passe bien. Par ailleurs, à part peut-être en direction de la Big Pharma, je n’y ai rien vu qui semble directement servir les intérêts américains ; rien de commun avec les vieilles fondations type Ford ou Rockfeller, dont la principale activité depuis des décennies est de distribuer des bourses d’études aux quatre coins de monde de façon à faire converger les meilleurs cerveaux de la planète vers les universités US. Chez Bill et Melinda, on est mondialisé, évanescent et toujours en pointe dans le grand chemin.

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Voici trente ans, Micro$oft commençait à éliminer ou à absorber, l’un après l’autre, ses concurrents potentiels. Seul Apple devait survivre. En dix ans, Windows était devenu un monopole mondial, et toutes les machines vendues dans le monde étaient préinstallées avec les produits Micro$oft. Bill Gates a bâti son empire sur une stratégie de piraterie imposée à la planète entière, dont on se demande après coup comment elle a été possible.

Dès les premières versions des DOS, il était clair pour tous les utilisateurs que le mot bug (et son équivalent français bogue) avait été créé spécialement pour Micro$oft. Cependant les prescripteurs lui apportaient systématiquement leurs préférences. Ainsi en France, alors que le tableur le plus répandu aux US s’appelait Lotus, alors que le traitement de texte le plus répandu aux US s’appelait Wordperfect, on ne jurait déjà que par Word et Excel, y compris (et surtout…) dans l’administration, alors que des produits français ne demandaient qu’à émerger.

J’ai maudit mille fois Bill Gates, je l’ai pendu mille fois en pensée, et je ne suis pas le seul ! Il fallait non seulement subir les avanies de ce brigand, mais en plus continuer à le financer abondamment. Je ne me souviens pas d’avoir eu à l’époque connaissance de l’existence de Melinda. Mais je ne lui accorde aujourd’hui aucune indulgence rétrospective. Elle fut sa complice fidèle dans l’enfer qu’il nous imposa. Que la malédiction de tous les dieux de l’Olympe s’acharne à jamais sur ce couple infernal !

Difficile de penser que Bill et Melinda aient décidé de divorcer et de couper leur fondation en deux, rien qu’à la suite de bisbilles de ménage ou de désaccords idéologiques. Je ne serais pas étonné qu’il y ait là-dessous quelque entourloupe fiscale. Nous verrons bien comment les deux moitiés de l’ex fondation se partagent le marché de l’esbroufe et de la crédulité.

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Après ce coup de colère qui nous fait le plus grand bien, un retour sur l’Économie Sociale ne sera pas inutile. D’abord, sur les finalités que doit se donner une fondation, sur les limites naturelles à opposer à l’accumulation immodérée de fortunes sans foi ni loi, sur les fondements anthropologiques, historiques et sociaux de la philanthropie : notre réflexion, faite de mesure et de réelles solidarités est établie de longue date.

Ensuite, sur la réaction qui a vu, face à la toute-puissance de Micro$oft, se développer le logiciel libre, sur des principes en tous points analogues à ceux de l’Économie Sociale. J’ai regretté, en son temps, que les deux courants ne se soient pas rencontrés, n’aient pas convergé… mais ce n’est peut-être que partie remise.

Philippe KAMINSKI

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Moola est un mot anglais d’argot, qui signifie « fric », « pognon » (source : Harrap’s).

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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.



 

 

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