15 février 1869 : le destin implacable d’un poème symphonique

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Instant classique – 15 février 1869… 152 ans jour pour jour. Piotr Ilitch Tchaïkovsky compose un poème symphonique dont on ne connaît pas l’inspiration mais qui porte incontestablement sa marque. Comme souvent, le compositeur détruit la partition quelques années plus tard, mais elle sera reconstituée grâce au matériel d’orchestre.

Vous n’y échapperez pas ! À quoi, me direz vous ? Eh bien au Fatum, à ce destin implacable auquel vous n’êtes pas obligés de croire, mais qui taraude bien des compositeurs dans l’histoire de la musique (pensez au pom-pom-pom-pom de Beethoven, c’est le destin qui frappe à votre porte !). Piotr Ilitch Tchaïkovsky lui-même n’est pas en reste, qui revient plusieurs fois sur ce thème, notamment dans sa quatrième symphonie. Mais avant cela, en 1868, il compose un poème symphonique, sans qu’on sache vraiment pourquoi il a choisi ce sujet. D’ailleurs, on ne sait à peu près rien de cette phase de sa vie créatrice. Fin septembre 1868, il écrit à son frère Anatole : « Je suis en train d’écrire une fantaisie symphonique intitulée Fatum. » Trois semaines plus tard, il écrit au même Anatole : « J’ai terminé ma pièce symphonique. » On n’en saura pas plus.

On en sait bien davantage en revanche de sa création, voici tout juste cent cinquante-deux ans (encore qu’il s’agit là du calendrier julien). C’est Nikolaï Rubinstein qui dirige l’orchestre et nous sommes à Moscou. Le programme de la soirée ne donne pas de détail, mais cite un extrait d’un poème de Batushkov :

« Tu sais ce qu’avait dit
Sur son lit de mort le vieux Melchisedech
L’homme naît esclave, et c’est esclave
Qu’il est mis au tombeau
Et la mort elle-même ne lui apprendra pas
Pourquoi il lui fallut passer par cette vallée de larmes
Souffrir, peiner, sangloter et disparaître. »

On sent d’emblée qu’on va bien rigoler.

Le succès public est très grand. Mais c’est sans compter avec le terrible Mily Balakirev, chef autoproclamé du fameux Groupe des 5, critique impitoyable. Tchaïkovsky lui avait envoyé la partition et Balakirev s’était engagé à la faire jouer, ce qu’il fait d’ailleurs un mois après la création moscovite à Saint-Pétersbourg. Mais le lendemain de son propre concert, il écrit à Tchaïkovsky :

« J’aime trop votre personnalité honnête et sympathique pour m’empêcher de vous dire franchement mon opinion […] Je ne considère même pas cela comme une composition mais seulement comme le programme d’une composition. Vous n’avez composé qu’une chose : la mélodie du premier andante en la bémol majeur, qui est acceptable mais sans plus. La mélodie est assez ordinaire, pâle, dans le genre de celles qu’écrivent MM. Raff, Brahms, Gade, etc. Bien que non dépourvue d’une certaine beauté. Mais vous n’avez rien dit de personnel, de chaleureux, d’émouvant. »

Sympa, n’est-ce-pas ? Mais Balakirev n’enverra pas cette lettre. Il en écrira une autre quelques jours plus tard, à peine édulcorée. On voit donc bien l’esprit.

On imagine la réaction de Tchaïkovsky, qui cependant lui répond qu’il comprend ses critiques, mais qu’il aurait pu les enrober un peu plus… Et comme souvent avec Tchaïkovsky, et comme on l’a vu avec son opéra Le Voievode, ce qui devait arriver arriva. Il détruit la partition quelques années plus tard. Elle ne sera reconstituée que grâce au matériel d’orchestre.

Ce n’est certes pas la partition la plus connue de Tchaïkovsky, mais elle porte incontestablement sa marque, très reconnaissable.

Cédric MANUEL



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Rubrique : « Le saviez-vous ? »



 

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