26 juin 1948 : Prokofiev perd la guerre pour avoir la paix

26 juin 1948 : Prokofiev perd la guerre pour avoir la paix
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Instant classique – 26 juin 1948… 71 ans jour pour jour. Au début des années 30, Sergueï Prokofiev a une idée folle, un projet démesuré : adapter l’immense fresque de Tolstoï, Guerre et paix.

La maturation du livret – qu’il réalise avec sa compagne Mira Mendelssohn – et des premiers thèmes lui prend beaucoup de temps, jusqu’au début de la guerre et de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie, qui offre à presque cent trente ans de distance, une sorte de remake grandeur nature à l’argument. Cela pousse d’ailleurs le compositeur à y jeter toutes ses forces tant il tient là l’occasion de réaliser une œuvre propre à galvaniser  ses compatriotes.

Prokofiev doit quitter Moscou au début de l’été 1941 et élabore plusieurs morceaux de la partition à Naltchik, dans le Caucase. Quelques scènes sont achevées (l’opéra complet en compte treize) et au printemps 1942, quelques extraits sont présentés au piano par Sviatoslav Richter et Anatoli Vierdernikov, rien de moins, à l’inévitable Comité des affaires culturelles, qui demande des modifications. Prokofiev s’y met et présente à son tour, au piano, le résultat à l’Union des compositeurs, cette fois. Cette instance créée dix ans auparavant par Staline, sorte de  tribunal des pairs, dédaigne l’œuvre qu’elle n’apprécie nullement.

C’est la troupe du Bolchoï, elle-même exilée, qui décide de la porter tout de même à la scène, sous l’impulsion de son chef, Samuel Samossoud. Mais ce dernier sera bientôt limogé et le projet se réduit à une simple présentation en très petit comité, au piano et avec une distribution très flageolante à Moscou en octobre 1944. Le public ne peut que détourner le regard.

Mais Prokofiev, désabusé et affaibli par plusieurs alertes cardiaques successives, croit dur comme fer à son œuvre. En juin 1945, miraculé après un nouvel infarctus, il assiste à la présentation plus sérieuse de neuf tableaux sur les treize en version de concert, grâce à Samossoud. Un an plus tard, huit tableaux sont enfin mis en scène au petit théâtre de Léningrad : toute la première partie. La seconde n’est prête qu’à l’été suivant. Mais Prokofiev est trop diminué et le pouvoir stalinien trop violent. Le projet est abandonné malgré tous les efforts d’un Prokofiev épuisé pour répondre aux exigences contradictoires des censeurs et inquisiteurs du régime. Il reprend, complète, modifie, jusque 1952. À la mort du compositeur, le 5 mars suivant, même jour que Staline, rien ne sera encore achevé.

Dès lors, que choisir comme date anniversaire ? Voici tout juste soixante-dix ans, le théâtre national de Prague décidait de créer onze des treize scènes, en version scénique, sous la direction de Jaroslav Krombholc et avec une distribution en or massif. C’est la première présentation publique dans des conditions « normales » de Guerre et paix dans sa quasi totalité. Il faudra néanmoins attendre le 15 décembre 1959 pour que l’opéra complet soit monté par le Bolchoï, sans coupures. Trop tard pour Prokofiev, mais pas pour son chef-d’œuvre.

Puisqu’on évoque les innovations, voici justement un court extrait (l’agonie du prince André) de la première production scénique française, qui a attendu l’an 2000 et une admirable production signée Francesca Zambello et dirigée par Gary Bertini à l’opéra Bastille.

Cédric MANUEL



Un jour… une œuvre musicale !
Rubrique : « Le saviez-vous ? »



 

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