5 juin 1872 : une « monstrueuse rengaine impériale »

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5 juin 1872… 149 ans jour pour jour – Brahms compose une œuvre célébrant le triomphe de l’Allemagne sur la France, que beaucoup considèrent, jusqu’au XXe siècle, supérieure au Requiem allemand du même Brahms, pourtant chef-d’œuvre absolu d’une toute autre dimension. C’est dire !

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’auteur de ce « Chant de triomphe » ou plutôt ce « Triumphlied » en allemand, puisque l’auteur est rien moins que Johannes Brahms. Et comment vous dire mieux que je ne peux que partager son sentiment ! Non pas en raison de la qualité musicale de l’œuvre, mais bien à cause de sa genèse. Pour chanter un triomphe, vous conviendrez qu’il faut avoir quelque chose à fêter, n’est-ce-pas ? Quelque chose du genre solennel, voyez. Eh bien, si vous jetez un œil à la date de création de la monstruosité en question, vous allez sans doute vite comprendre. Eh bien oui, il s’agit bien de célébrer l’écrasement de la France par la Prusse moins de deux ans auparavant.

De fait, Brahms avait sauté de joie aussi haut que le permettait sa stature qui n’était pas encore trop empâtée ni même barbue (il a alors trente-sept ans), au moment de la capitulation de Sedan. Il avait donc voulu écrire un chant sur Paris, dès septembre 1870. Puis un Te Deum en décembre, puisqu’il fallait bien remercier quelqu’un. Quelques semaines plus tard, il indique à un ami que ce sera un chœur sur le lied « Heil dir im Siergerkranz », d’ailleurs créé en avril 1871 à Brême, « en souvenir des soldats morts au combat » devant une assistance de 2 000 personnes. Le succès est tel qu’il souhaite peaufiner sa partition. Mais entretemps il écrit son « Chant du Destin » (Schicksalslied) qui lui demande beaucoup d’efforts et il a ensuite beaucoup de mal à revenir à une œuvre de circonstance d’une toute autre nature que sera le Triumphlied.

En septembre 1871, il décide de le baptiser « Bismarck-Gesang » et de le dédier au chancelier, pour qui il avait une très vive admiration. Terminée en novembre suivant, la partition est finalement dédiée à l’empereur Guillaume Ier. C’est au théâtre de la Cour de Karlsruhe qu’il crée la version définitive de ce chant de triomphe voici cent quarante-neuf ans, sous la direction du chef Hermann Levi, qui créera aussi Parsifal quelques années plus tard (j’en profite pour rappeler que Brahms méprisait tout à fait Wagner, qui le lui rendait bien et qui parlera de l’Halleluia fugué qu’on entend dans la première partie de « Perruque de l’Halleluia de Haendel »). Il est assez difficile aujourd’hui de décrire l’engouement du public pour cette œuvre, qui symbolisait le triomphe de l’Allemagne. Beaucoup considéraient, jusqu’au XXe siècle, qu’elle était – tenez-vous bien – supérieure au Requiem allemand du même Brahms, chef d’œuvre absolu d’une toute autre dimension. Mais c’était comme ça.

Le texte compile opportunément des extraits de l’Apocalypse selon Saint-Jean pour donner un sens nouveau à des vers qui étaient sortis de leur contexte. Et voilà comment il termine sa deuxième partie avec ceci : « Car le Dieu tout puissant est entré dans son règne. Réjouissons-nous et soyons heureux et donnons lui la gloire. » C’est sûr qu’à ce compte là, il pouvait dédier l’œuvre à l’empereur…

Mais assez vite, Brahms commence à avoir quelques remords. D’abord, il n’ose pas faire imprimer la fin d’un verset qui disait : « Parce qu’il a châtié la Grande Prostituée qui corrompait la terre par sa Prostitution », allusion tout à fait directe et sans équivoque à Paris. Et ensuite, une vingtaine d’années plus tard, Brahms regrettera explicitement cette œuvre, parlant de « monstruosité » et de « rengaine impériale ». Comme on dit, faute avouée…

La partition, finalement pour baryton (qu’on entend dans la troisième partie), chœur mixte et orchestre, est en trois parties : une introduction solennelle et des réjouissances très démonstratives ; un mouvement central plus modéré et un final qu’on imagine boumboumesque proclamant la majesté divine du Roi des Rois (encore Guillaume ??) avec une traditionnelle fugue. Pour ne pas vous infliger des accents triomphaux trop lourds maintenant que vous connaissez le contexte, je vous propose les deux premiers mouvements.

Cédric MANUEL



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Rubrique : éphéméride



 

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