Éloge du commentaire de l’artiste : adieu la critique !

Éloge du commentaire de l’artiste : adieu la critique !
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Critique dramatique et rédacteur en chef des Lettres Françaises, directeur de la publication et rédacteur en chef de Frictions, Jean-Pierre Han est une des plumes incontestées du monde théâtral, privilégiant une approche essentiellement politique. « Vagabondage théâtral » est sa chronique mensuelle pour les lecteurs de Profession Spectacle.

« Vagabondage théâtral »

Les temps n’étant plus à la plaisanterie, artistes et autres créateurs ne peuvent plus se contenter de réaliser leurs œuvres, ce qui est déjà pas mal, encore faut-il qu’ils s’expliquent sur leur geste. Tout le monde les pousse à faire le commentaire, sinon la sacro-sainte « explication », de ce qu’ils ont créés ! C’est là un acte bien particulier qui demande doigté, finesse, et bien sûr une bonne dose de rouerie. Finie l’innocence !

Même les artistes d’art brut qui, comme chacun sait, ne sont pas des intellectuels, sont quasiment sommés d’émettre quelques bredouillis sur leurs œuvres. À ce jeu qui est plus qu’un jeu, un art lui aussi, celui sinon de se mettre en scène soi-même, du moins de parler de soi avec discernement et contentement, l’échelle des valeurs change brusquement et ne correspond plus du tout à celle de la valeur artistique. Pour le dire un peu brutalement, cette manière de faire a beaucoup à voir avec l’art de se vendre…

Les journalistes, c’est bien connu, sont de grands paresseux – paradoxalement ce sont toujours les paresseux qui travaillent le plus – sont ravis de l’aubaine : plus besoin de se triturer les méninges pour sortir une pensée à peu près intelligente (qui en a, en tout cas, l’apparence) sur telle ou telle œuvre, il suffit de laisser la parole au responsable de ladite œuvre. À lui de nous la décrypter : nous ne sommes là que pour éventuellement relancer la machine… Et ce ne sont pas les universitaires qui ont tendance à envahir de plus en plus notre petit monde privé théâtral et dont c’est en principe la fonction d’œuvrer sur ce terrain-là, qui diront le contraire.

Tout le monde, bien sûr, aura compris la manœuvre et en aura tiré le plus grand profit personnel. Malheur aux maladroits, aux timides, mais même là certains jouent de leur maladresse et de leur timidité… Ça s’appelle de la mise en abyme, et c’est bien forcément théâtral, n’est-ce pas ?

Le profit ? Mais voyons c’est très simple, laissons parler les intéressés et remballons notre esprit critique. En termes journalistiques, on privilégiera donc ce qu’on appelle les avant-papiers au détriment des articles critiques. Simple comme bonjour. Tout le monde semble y trouver son compte. Les intéressés puisque personne ne les embêtera plus, les directeurs de théâtre ou d’institutions ravis d’occuper la place papier sans danger, les lecteurs tellement heureux d’avoir un contact « direct », du vrai, du vif, avec l’artiste.

Restent quand même ces pelés, ces galeux que sont les critiques, privés de leur joujou favori : donner un avis personnel sur une œuvre, en esquissant, dans le meilleur des cas, deux, trois ébauches d’analyse… Ne nous restent que des miettes, ou des commentaires de commentaires !

Stanislas Nordey, jadis ou naguère (du temps de son expérience à Saint-Denis), voulait assigner au critique le rôle de scribe, ce qui nous avait valu des discussions musclées ; qu’il se rassure aujourd’hui, on y vient, on y vient.

Jean-Pierre HAN

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