Entretien avec Olivier Couder : art et handicap réunis par les droits culturels

Entretien avec Olivier Couder : art et handicap réunis par les droits culturels
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Fondateur et directeur artistique de la compagnie Théâtre du Cristal en 1989, qui rassemble des comédiens professionnels en situation de handicap et non handicapés, Olivier Couder a mis en scène de nombreux auteurs contemporains. En 2010, le Théâtre du Cristal est reconnu comme pôle « art et handicap » dans le Val-d’Oise, avec pour mission de garantir aux personnes en situation de handicap un accès facilité à l’art et à la culture.

C’est dans ce même esprit qu’il lance, dans son département, le festival Viva la Vida en 2012. Celui-ci devient, par sa fusion avec le festival Orphée dans les Yvelines, un événement régional, sous forme de biennale : le festival Imago. La première édition de cette biennale se déroule en ce moment même et jusqu’au 18 décembre : trois mois, six départements, cinquante lieux et cent représentations… autant de chiffres qui en disent long sur le chemin parcouru.

Entretien avec Olivier Couder.

Quel parcours vous a conduit à œuvrer pour l’union entre les mondes de l’art et du handicap ?

J’ai un drôle de parcours. J’ai suivi des études de psychologue avant de travailler comme thérapeute dans un établissement pour personnes toxicomanes. J’ai fait une école de théâtre parce que je désirais être comédien, ce qui m’a conduit à quitter mon métier. J’ai travaillé comme comédien dans toute la France, notamment pour le jeune public, à l’époque où on faisait encore des tournées de trois cents représentations… Un jour, une ancienne amie de faculté m’a dit : « Je travaille dans un foyer pour des personnes handicapées mentales, ça ne t’intéresserait pas de venir y jouer ? » C’est là que je suis tombé dedans. Cela m’a permis de réunir mes deux carrières, comme thérapeute et comme comédien.

Lors de la présentation du festival Imago à la presse, en septembre dernier, vous avez rapidement évoqué le rapport « montré / caché » comme l’un des axes de cet événement. En quoi cette dimension vous paraît-elle essentielle ?

C’est compliqué. Actuellement, pour balayer ce que nous n’avons pas envie de voir, que ce soit un SDF qui fait la manche ou une personne handicapée, on fait semblant de ne pas voir : on rend l’autre invisible, on le renvoie à un statut d’inexistence à travers le fait de ne pas le regarder. Qu’est-ce qui se passe quand on le regarde, quand on le voit ? C’est une question essentielle posée par le théâtre. Un plateau théâtral ne peut pas faire autrement que de mettre en lumière nos représentations. Dire : « on va voir les gens comme ils sont », c’est une illusion. Il faut accepter que ce qu’on va montrer au théâtre, c’est profondément ce que les gens représentent et, au-delà de ça, devenir sensible à ce qu’ils sont. C’est tout ce travail de mise en scène qui est intéressant à toucher : comment jouons-nous perpétuellement sur le caché/montré, sur le réel et les représentations ?

Qu’est-ce qui vous différencie d’un festival tel que « Art et Déchirure » à Rouen ?

Chaque festival a sa spécificité. « Art et Déchirure », qui se déroule à Rouen depuis le début des années 2000, a pour parenté d’essaimer sur beaucoup d’établissements culturels du département Seine-Maritime et a conquis sa légitimité au fil des éditions ; il présente des spectacles, soit qui parlent du handicap, soit qui sont joués par des personnes handicapées. La spécificité que nous amenons, c’est de vouloir coupler notre événement avec un vrai travail de terrain, de mobilisation autour des droits culturels.

Vous évoquez les droits culturels, que Profession Spectacle défend depuis plusieurs années. Comment les concevez-vous, en lien avec votre initiative ?

Je crois que c’est une dimension très importante. Il y a beaucoup d’impasses dans ce domaine. Il y a par exemple eu beaucoup de démarches autour de l’accessibilité qui ont tourné court, pour des raisons assez claires et logiques… Lorsqu’on dit « je suis la culture, venez à moi parce que je représente la culture », on prend comme risque de piétiner la culture que chaque personne se reconnaît et possède ; il ne s’agit donc pas de donner accès, mais de pouvoir circuler entre des cultures différentes, en reconnaissant à chaque fois la culture et les goûts de l’interlocuteur. Ça me paraît être la démarche essentielle. À partir du moment où l’on respecte les droits culturels, leur proclamation ne suffit pas, sous peine d’en rester à une posture militante. Il me semble important d’accompagner cette démarche de droits culturels, d’associer les personnes qui sont concernées, en l’occurrence celles en situation de handicap, et de leur proposer un large éventail à partir duquel elles peuvent choisir leurs pratiques culturelles. C’est ce que nous avons fait. Aujourd’hui, nous avons vingt-cinq conventions, partenariats et jumelages qui ont été signés entre des établissements médico-sociaux et des établissements culturels, en associant à chaque fois les personnes handicapées elles-mêmes. Il y a donc là un véritable travail d’inclusion.

En quoi consistent les pôles « art et handicap » que vous souhaitez mettre en place afin de soutenir une action continue entre deux éditions du festival Imago ?

Ils sont en cours de création. Fort de notre travail de fond déjà réalisé depuis 2010, avec la signature de ces vingt-cinq conventions, on a décidé d’extrapoler notre méthode, nos bonnes pratiques ailleurs. Bien entendu, nous avions au départ la naïveté des jeunes convertis, en arrivant auprès d’autres acteurs et en leur disant : « Faites comme nous ! » Sauf que les problématiques étaient souvent différentes. Nous nous sommes rendu compte que les spécificités empêchaient de reproduire un système qui par ailleurs fonctionnait très bien, à savoir un partenariat entre une collectivité territoriale et une association qui joue le rôle de pôle « art et handicap ». Pourquoi ? Parce qu’une collectivité territoriale a un rôle d’impulsion politique, de cadre, que jamais une association ne pourrait avoir. En revanche, une collectivité territoriale est toujours plus lente, plus lourde, dans son fonctionnement ; elle ne peut pas s’adapter à un travail de terrain, par nature souple et réactif, comme le font les associations. C’est ce partenariat qui a parfaitement fonctionné dans le Val-d’Oise, car le département est très à l’écoute. Chaque département dispose de forces différentes : en Seine-Saint-Denis, la MC93 a un rôle important ; dans l’Essonne, c’est le conseil départemental qui est très en pointe ; dans d’autres cas, c’est Culture du Cœur qui va être moteur… À partir du moment où l’on a identifié un acteur principal, on essaie de construire un réseau autour, de sorte qu’on trouve dans chaque département la façon de pouvoir faire ce travail de sensibilisation et de permettre un exercice concret des droits culturels.

Comment travaillez-vous concrètement ?

Nous travaillons essentiellement sur les jumelages. Il y a également un travail de veille et de vigilance, à la fois artistique, sur les spectacles créés, et politique, sur les réformes qui émergent. Pour le moment, nous sommes entre deux eaux : les lieux restent décisionnaires parce que ce sont eux qui choisissent, organisent et payent les spectacles. Nous avions jusqu’alors un travail d’influence, mais au fil du temps, on se voit reconnaître davantage un rôle d’expert. Nous sommes de plus en plus écoutés : nous avons par exemple poussé à la programmation de Dévaste-moi et sommes heureux de voir deux lieux culturels qui ont choisi de nous suivre sur ce spectacle. Mais soyons honnêtes : la programmation de ce premier festival Imago n’est pas l’exact reflet de ce que nous aurions pu faire si nous avions eu les coudées franches. C’est qu’il y a encore du travail.

Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER



Photographie de Une – Olivier Couder (DR)



 

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