La rénovation énergétique des logements ? Pourquoi je n’y crois pas

La rénovation énergétique des logements ? Pourquoi je n’y crois pas
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L’avenir s’inscrit dans une même logique d’obligations et d’échéances pleines de menaces : logement, automobile… manteaux ? Une dérive dangereuse vers toujours davantage de contrôle social. Et d’imbécillité technocratique.

Actualité de l’économie sociale

Régulièrement, depuis des années si ce n’est des lustres, les programmes de réduction d’émission de gaz à effet de serre mettent au premier plan la rénovation énergétique des logements. Ceux-ci seraient aujourd’hui responsables de 27 % du CO2 émis en France.

Plus précisément, il s’agit de mieux isoler les logements, de façon à réduire la quantité d’énergie fossile nécessaire à leur chauffage. Je n’y ai jamais vraiment cru. Un nouveau rapport, encore un, vient de sortir à ce sujet. Piloté par Olivier Sichel, ce Rapport pour une réhabilitation massive, simple et inclusive des logements privés entend mettre un point final à une longue période d’atermoiements et donner un véritable signal de départ d’une révolution définitive et salvatrice. Ah, cette fois, nous allons voir ce que nous allons voir !

Non seulement je pense que c’est un coup d’épée dans l’eau, un de plus, non seulement cette lecture me conforte dans mon scepticisme, mais j’y trouve de surcroît une dérive dangereuse vers toujours davantage de contrôle social. Et d’imbécillité technocratique.

Qu’est-ce, au fond, que l’isolation d’un logement ? C’est la construction d’une barrière thermique qui réduit les échanges de chaleur entre l’extérieur et l’intérieur, exactement comme fait le manteau que l’on enfile avant de sortir quand il fait froid ; les calories produites par le corps humain restent enfermées, ce qui donne l’impression de porter un vêtement « chaud » alors qu’il n’est qu’isolant.

Alors imaginons un instant que le groupe de travail réuni par Olivier Sichel ait eu à réfléchir sur les manteaux – puisque c’est tout comme.

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Dans un conte devenu célèbre, Nicolas Gogol met en scène deux manteaux. L’un est neuf, luxueux, seyant, superbe et moelleux à souhait ; l’autre est vieux, laid, usé jusqu’à la corde, ne tient plus au corps et laisse le vent glacé s’engouffrer par le col et les manches. Dans l’hiver cruel de Saint-Petersbourg, le contraste est saisissant. Le porteur du premier manteau est parfaitement à son aise, tandis que celui du second endure mille morts. Pareille inégalité de situations est-elle tolérable ? Ne met-elle pas en danger l’ordre social lui-même ?

Prenons quelque recul par rapport à la trame du conte et voyons l’affaire sous l’angle de l’analyse économique. Il est naturel de penser que le beau manteau est porté par un homme riche, et que la triste pelure appartient à un pauvre parmi les pauvres. D’où une première alternative : on peut soit chercher à faciliter l’acquisition de vêtements chauds par les nécessiteux, au moyen de distributions sélectives ou de tarifs préférentiels, soit lutter contre la pauvreté en général en solvabilisant les miséreux, les laissant ensuite libres d’acheter sur le marché, à leur choix, la pièce d’habillement qui leur fait envie.

Mais que l’on privilégie une approche par les produits de première nécessité ou une approche plus purement budgétaire, un second niveau d’alternative apparaît : faut-il faire confiance à la liberté, ou faut-il administrer, c’est-à-dire, clairement, demander à l’État de décider à la place des producteurs et des consommateurs ?

Ce débat classique est doublement pervers. D’abord parce qu’il laisse entendre qu’il y a une bonne et une mauvaise réponse ; l’esprit cartésien se laisse volontiers glisser sur cette pente, et perçoit tout compromis, toute composition entre deux voies opposées comme une insulte à la raison, comme une concession de la vérité à l’erreur. Ainsi l’économie de marché n’est-elle perçue qu’à travers sa caricature ou ses pires dérives (le renard libre dans le poulailler libre) ; ainsi les défenseurs de la solidarité redistributive ne peuvent-ils s’empêcher de dénigrer la charité privée, la parant de toutes les tares morales ou récessives. Quand l’idéologie glisse son pied dans l’embrasure d’une porte, il n’y a bientôt plus d’espace que pour elle.

Ensuite, ce débat est pervers parce qu’il n’y a pas deux modèles référence, mais trois : l’économie libérale, l’économie administrée et l’Économie Sociale. Celle-ci ne peut être réduite au rang d’ornement décoratif. Elle constitue un modèle à part entière, irréductible aux deux autres, et qui a largement fait la preuve, au cours des deux siècles passés, de ses capacités à apporter des solutions solides aux problèmes liés tant à la pauvreté elle-même qu’à la mise à disposition de bien essentiels aux luttes contre la faim, le froid ou la maladie. D’abord par sa composante philanthropique, la plus visible ; mais surtout, ne l’oublions pas, par ses composantes productives et compétitives, les coopératives de production, de consommation et de crédit, les mutuelles d’assurance, de santé et de prévoyance.

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Ceci étant posé, revenons à nos deux manteaux. Ce n’est pas à eux que nous avons pensé jusqu’à présent, mais à leurs utilisateurs. Nous avons éprouvé de la compassion pour le pauvre hère souffrant du froid sous sa pelisse élimée ; nous avons jalousé l’heureux propriétaire de la chaude et douillette livrée et nous avons fantasmé sur le nom de l’animal rare qui lui a donné sa fourrure. Et nous avons fait de tout cela un problème moral et un problème social.

Or la tendance qui se dessine actuellement prend une toute autre direction. Bien que l’on évoque de plus en plus le retour de la misère, des décennies de croissance ont réussi à chasser celle-ci de notre imaginaire quotidien. En revanche, la montée ininterrompue de nouvelles priorités collectives a mis en exergue d’autres approches, toutes davantage tournées vers l’objet lui-même. On bannira le col en fourrure au nom du bien-être animal. On évoquera l’économie circulaire et l’empreinte carbone.

Les systèmes de protection sociale, par l’ampleur qu’ils ont prise, par l’angoisse de voir encore se creuser leurs déficits, imposent également leur logique. Voyons jusqu’où celle-ci peut nous mener.

Porter un vieux manteau pourri, c’est prendre le risque d’attraper la crève, et donc d’augmenter les dépenses de l’assurance maladie. C’est comme conduire une vieille voiture, qui consomme plus, qui pollue davantage. Ce qui était, naguère encore, perçu comme un signe de pauvreté suscitant la compassion, devient progressivement un acte anti-civique appelant la répression. Celui qui se promène par temps de neige dans un manteau troué n’est plus un défavorisé qu’il faut secourir, mais un contrevenant qu’il faut punir – à tout le moins, d’après la commission Sichel, qu’il faut harceler et culpabiliser jusqu’à ce qu’il se décide à mettre un manteau correct.

Pourquoi ce qui a été fait, et ce qu’il est prévu de faire, en matière d’automobile, ne s’appliquerait-il pas de façon identique aux manteaux ? Ceux-ci pourraient, dans un premier temps, être soumis à un contrôle technique régulier. Parkas, blousons, imperméables et autres objets similaires seraient soumis tous les deux ans à une visite d’inspection chez un expert agréé. Tous ceux qui ne passeraient pas l’intégralité des tests seraient qualifiés de « passoires thermiques » et interdits de circulation dans l’espace public.

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L’avenir s’inscrit dans une même logique d’obligations et d’échéances pleines de menaces.

Le parlement décidera l’éradication définitive de toutes les passoires thermiques à l’horizon 2030. En 2028, des émeutes éclatent aux abords des théâtres, car les saltimbanques revendiquaient que les costumes de scène échappent à la loi. Mais le pouvoir reste inflexible, et les manifestations des gens du spectacle sont sévèrement réprimées. En effet, argua le Premier ministre, l’intérêt général doit toujours primer sur les intérêts particuliers, ceux-ci fussent-ils portés au nom de la Culture.

Avec le temps, le contrôle technique s’avéra insuffisant, et à la source de trop nombreux litiges. Des cas de corruption furent signalés. Jugé trop subjectif, il fut remplacé par un système moderne et automatique de contrôle continu, le DPE (Détectophanère de potentialitude endocalorifique). Il s’agit d’un petit bouton connecté, fixé à l’intérieur de la manche droite, qui se met en marche dès que le vêtement est porté par une température extérieure inférieure à 15 degrés Celsius. Grâce à ce dispositif ingénieux, les autorités sont informées en permanence de la position géographique de chaque vêtement et des flux thermiques qui le traversent en 30 points différents. Ces précieuses données sont ensuite croisées avec celles que collectent les compteurs Linky afin d’établir le BVTIE (Bilan vestimentaire total intérieur-extérieur) de chaque citoyen.

Ainsi deviendra-t-il enfin possible de réduire au minimum les déperditions thermiques liées aux activités domestiques…

(à suivre)

Philippe KAMINSKI

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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.



 

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