L’année des emmerdes

L’année des emmerdes
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Dans un esprit de satire et de dérision, notre chroniqueur Philippe Kaminski singe les grandes causes décidées par l’ONU au gré d’années internationales qui ne servent à rien et proclame une année internationale des Emmerdes… Ou plutôt, des années internationales des Emmerdes, à durée illimitée !

Actualités de l’économie sociale

L’Organisation des Nations unies a pris l’habitude de consacrer chaque année à une grande cause. Mais à partir de quand une cause est-elle grande ? À l’origine, la réponse allait de soi ; une cause est grande quand elle recueille un large consensus, et quand on l’écrit spontanément avec une majuscule. Ainsi de la Paix, de la Prospérité, du Progrès… toutes belles choses qu’on ne peut que souhaiter au genre humain, et sur lesquelles nul ne saurait prendre d’engagement, pas même l’ONU.

Au fil du temps, ces deux caractères se sont fortement atténués. D’abord pour faire place à des causes de plus en plus petites ou de plus en plus partisanes, sous la pression de groupes d’intérêt avides de se faire entendre ; au nom de quoi les Scarabées, les Libellules, les Tartes Tatin n’auraient pas aussi leur Année Internationale ? Ensuite en se risquant à être jugé sur un résultat ; si l’on décrète l’Année Internationale de l’Éradication de la Pauvreté, cela laisse entendre que l’on fera en sorte qu’il n’y ait plus un seul pauvre une fois l’année écoulée.

Naturellement ce ne sera pas le cas, et il se trouvera des esprits pernicieux pour reprocher au promoteur imprudent de cette Année téméraire de ne pas avoir tenu sa promesse. Afin de parer à cette issue déshonorante, l’ONU a pris le parti de mélanger plusieurs causes en une même Année, les plus généreuses comme les plus farfelues, et de les mettre sur un même plan. Dès lors, un succès sur l’une permet de compenser, d’excuser, un ratage sur une autre.

L’année 2021 aura ainsi réuni quatre causes, d’abord l’économie créative au service du développement durable, ensuite l’élimination du travail des enfants, puis les fruits et légumes, enfin la paix et la confiance. Il y en a pour tous les goûts, enfin presque. Si vous n’appréciez pas le pâté aux courgettes dont la recette aura été mise au point par une équipe autogérée de quakers pacifistes, vous vous consolerez néanmoins en apprenant que ces légumes n’ont été épluchés que par des adultes consentants.

Tout le monde devrait donc être content ! Tout le monde ? Non. Il s’est trouvé un groupe de pays récalcitrants qui ont jugé que ces Années Internationales à répétition n’intéressaient pas leurs peuples. Pire encore, ces pays rétifs aux plus belles causes, et dont on peut s’interroger sur le caractère réellement démocratique de leur gouvernement, ont osé élaborer un projet concurrent, prémisse à une véritable sécession du multilatéralisme protecteur et bienfaisant qui assurait jusqu’à présent le développement harmonieux de la communauté des nations. Nous nous sommes procurés le texte de leur résolution, et nous vous le livrons tel quel, sans en corriger la vulgarité, afin de vous en laisser mesurer le danger extrême.

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L’Assemblée générale,

Réaffirmant la Charte des Nations Unies et les buts et principes qui y sont énoncés, en particulier l’engagement pris de régler les différends par des moyens pacifiques et la volonté résolue de préserver les générations futures du fléau de la guerre,

Considérant que l’Organisation des Nations Unies joue un rôle important dans le développement de relations amicales entre les nations,

Considérant également que l’adoption d’une approche fondée sur le réalisme pourrait favoriser les progrès dans les trois grands domaines d’action de l’Organisation, à savoir le développement durable, la sécurité et les droits de l’homme, qui sont interdépendants et se renforcent mutuellement,

Consciente de l’importance de donner à ses Années Internationales un sens concret qui soit directement compris par les populations, afin de promouvoir une culture de paix et de non-violence pour le bien de l’humanité, en particulier celui des générations à venir,

 

Considérant qu’il faut que chacune de ces Années affiche des objectifs tangibles dont chacun puisse vérifier la réalisation, accepter les différences, être à l’écoute, faire preuve d’estime, de respect et de reconnaissance envers autrui et vivre dans un esprit de paix et d’harmonie,

Sachant que les organisations internationales, régionales et sous-régionales jouent un rôle dans la promotion et la préservation de la paix, chacune dans le respect de son mandat,

Sachant également que la paix c’est non seulement l’absence de conflit, mais qu’elle passe aussi par un processus constructif, dynamique et participatif dans lequel le dialogue est encouragé et les conflits sont réglés dans un esprit de compréhension mutuelle et de coopération,

Comprenant qu’il faut que les Années Internationales à venir soient au plus près de la vie quotidienne et des préoccupations des citoyens, de ce qu’ils ressentent et de ce qu’ils endurent,

Encourageant les organisations de la société civile du monde entier à poursuivre leurs efforts et à multiplier leurs activités pour la promotion d’une culture de paix,

1. Proclame 2022 et les suivantes Années internationales des Emmerdes et de leur caractère permanent, continu et sans cesse renouvelé ;

2. Affirme qu’il y aurait grand risque à vouloir atténuer le caractère emmerdatif de l’existence de chaque être humain, celui-ci pouvant alors donner libre cours à ses passions déréglées et mettre ainsi en danger la Paix et l’Harmonie entre les Nations ;

3. Souligne que chaque Année internationale des Emmerdes sera un moyen de mobiliser les efforts de la communauté internationale en faveur de la paix et de la confiance entre les nations, notamment sur la base du dialogue politique, de la compréhension mutuelle et de la coopération, afin de faire régner durablement les institutions emmerdatoires nécessaires à la vie de chaque citoyen ;

4. Demande à la communauté internationale de continuer d’œuvrer, notamment par la bureaucratie et la fiscalité, à la promotion d’un environnement emmerdatif universel pour tous, car il s’agit là d’une valeur qui favorise le développement durable, la paix, la sécurité et les droits de l’Homme ;

5. Invite tous les États membres, les organismes des Nations Unies et les autres organisations internationales et régionales, ainsi que la société civile, y compris les organisations non gouvernementales et toutes les autres parties intéressées, à redoubler d’efforts pour emmerder le monde, afin d’assurer la Paix et le Concorde entre les Nations ;

6. Appelle tous les États Membres à célébrer comme il convient chacune des Années internationales des Emmerdes et à en faire largement connaître les avantages, pour la sauvegarde de la Paix et de la Confiance, y compris en menant des activités d’éducation et de sensibilisation ;

7. Prie le Secrétaire général de porter la présente résolution à l’attention de tous les États membres, des organismes des Nations Unies et des autres organisations internationales et régionales, ainsi que de la société civile, y compris les organisations non gouvernementales ;

8. Souligne que toutes les activités qui pourraient découler de l’application de la présente résolution devront être financées au moyen de contributions pesant sur l’ensemble des citoyens, riches et pauvres, car il s’agit là d’une exigence démocratique fondamentale.

 

Philippe KAMINSKI

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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.



 

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