“Les États généraux partent du principe que le festival Off d’Avignon est un bien commun”

“Les États généraux partent du principe que le festival Off d’Avignon est un bien commun”
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Quelque 200 à 300 personnes de tous horizons ont participé à la visioconférence de lancement des États généraux du festival Off d’Avignon (EGOFF), mise en place par quatre organisations professionnelles. Un cap a été fixé, avec des objectifs, un échéancier, une organisation et, surtout, beaucoup d’interrogations en suspens.

En avril dernier, un appel à des États généraux du festival Off d’Avignon était lancé par quatre organisations professionnelles : les Actrices et acteurs de France associés (AAFA), les Écrivains associés du théâtre (E.A.T), les Sentinelles, fédération de compagnies du spectacle vivant, et le SYNAVI, syndicat national des arts vivants.

Deux mois et plus de 1600 signataires après, ce sont entre 200 et 300 personnes qui ont assisté à la première visioconférence visant à préciser les objectifs et le déroulement à venir de ces États généraux du festival Off d’Avignon (EGOFF). Un nombre intéressant et prometteur, bien que le nombre d’inscrits à cette rencontre virtuelle fût originellement le double.

Faire du festival Off d’Avignon un modèle vertueux

Une soixantaine de mandatés furent invités à parler, tandis que les auditeurs libres se sont contentés d’écouter et de poser leurs questions par écrit. Elles furent nombreuses, ces interrogations, signe autant d’un grand mal être qui parcourt la profession que d’envies – parfois contradictoires – de changement.

Éric Verdin, membre des E.A.T, a précisé dans une longue introduction le cap choisi par les EGOFF. L’objectif a d’emblée été énoncé : « faire du festival Off d’Avignon un modèle vertueux, à la fois solidaire et équitable, pour toutes et tous », car « les États généraux partent du principe que le festival Off d’Avignon est un bien commun ». Deux grands axes ont ainsi été définis : un écosystème fondé sur la diversité culturelle, qui comprend la lutte contre l’uniformisation croissante que subit le Off, et la mise en exergue de communs, en adéquation toujours plus grande avec les principes de l’économie sociale, solidaire et écologique. Bien que le concept aurait mérité d’être clairement exprimé, nous sommes bien là au cœur des droits culturels, que Profession Spectacle défend au fil des années.

Huit commissions ont déjà été définies : une première commission qui rassemble « tous les partenaires qui dépendent de près ou de loin du festival d’Avignon », six commissions thématiques portant aussi bien sur les lieux et les compagnies que sur les publics, le lien avec la ville ou encore les diffuseurs et les programmateurs, ainsi qu’une dernière commission intitulée “architecture et gouvernance”, qui aura pour mission de coordonner l’ensemble des travaux en vue du bon déroulement des EGOFF.

Volonté de rassembler et absence d’un acteur majeur

« On imagine assez mal ce que cela pourrait donner, car c’est un chantier énorme, reconnaît David Nathanson, président des Sentinelles. Il faudra l’apport et la participation de tous, en tous cas du plus grand nombre. » Il y a néanmoins un absent de taille : l’Association festival et compagnies (AF&C), qui coordonne le Off et donne à ce dernier un embryon d’unité, même si, rappellent aussitôt les organisateurs des EGOFF, le Off a « la particularité d’être un festival sans gouvernance officielle ».

« Si le CA d’AF&C a voté contre, nous sommes plusieurs à être présent, tempère de son côté Hugues Leforestier, membre du conseil d’administration de l’association. Notre préoccupation est d’arrêter de faire d’Avignon un festival dans lequel on achète un stand et d’avoir une attention aux plus fragiles. » Il énonce par exemple deux chantiers urgents : le formatage des spectacles et le fonctionnement des programmateurs, qui privilégient le In et les théâtres ou compagnies qu’ils connaissent, en « délaissant les compagnies les plus fragiles ».

« Le fait qu’AF&C ne soit pas là est dommageable, confirme pour sa part Franck de Bourgogne. Mais depuis le temps que je suis AF&C, je dois dire qu’il y a de gros progrès. Je peux dire que, par rapport à ce qui se faisait avant, les pratiques sont différentes. On peut mettre au crédit d’AF&C le fonds de soutien, des consensus avec les lieux, dans la recherche des publics ou encore des pratiques écologiques qui vont dans le bon sens… »

Une initiative utopique ?

« Je trouve l’initiative formidable, mais je la trouve aussi très utopique, a pour sa part déclaré Samuel Churin d’entrée de jeu. J’espère qu’elle va fonctionner. Avignon Off est un marché, avec des pratiques très libérales. » Le militant, connu pour son action au sein de la Coordination des intermittents et précaires (CIP), a évoqué la question écologique des affiches, méconnaissant apparemment les dispositions prises par AF&C en février dernier, ainsi que celle des « compagnies qui se saignent avec des tarifs aberrants », avant de conclure sous la forme d’un vœu : « Il faut faire en sorte qu’Avignon soit un peu plus artistique, et moins concurrentiel. »

Parmi les nombreuses questions ou problématiques abordées, il y eut pêle-mêle le coût des salles qui « amène les compagnies à ne pas pouvoir assumer les salaires » (Pierre Puy, SNLA-FO), l’intégration de partenaires multiples au sein d’un Village du Off plus ouvert (Pascal Bracquemond, quelspectacle.com), la méconnaissance gouvernementale des réalités du spectacle vivant (Christophe Charrier, compagnie JDH et représentant SNES), les financements publics permettant la location des salles (Margaux Eskenazi, Collectif 12), la représentativité et la gouvernance (Franck de Bourgogne), la prise en compte de tous les acteurs culturels dans le formatage des créations (Thibault Sinay, Union des scénographes), le coût de location des murs pour les théâtres et pas seulement pour les compagnies (Sophie Marion, théâtre Le Forum), la création d’un label pour les lieux respectueux des compagnies (Franck-Éric Retière, théâtre du Briançonnais, un des très rares programmateurs présents), l’identification de « leviers d’action possibles » en cas de non-respect des normes (Yves Cusset, compagnie Un jour)…

Si certains évoquent la possibilité de créer un autre festival, la mesure ne fait pas l’unanimité. « Je ne pense pas que ce soit une bonne idée que d’imaginer de déplacer le festival, car voilà plusieurs décennies que nous construisons la réputation internationale de ce festival d’Avignon, répond Anthéa Sogno, qui dirige le théâtre La Condition des Soies à Avignon. Il y a un autre moyen de pouvoir garder autant de compagnies et de spectacles, en allongeant le festival, en le faisant débuter un peu plus tard et aller jusqu’à la mi-août. Ainsi, il y aurait un renouvellement de publics entre les juillettistes et les aoûtiens. » D’autres encore, par des commentaires écrits, évoquent au contraire un raccourcissement de la durée du festival, en harmonie avec le In…

Vers un changement véritable de l’écosystème

Questions et réponses fusent ainsi pendant plus de deux heures, dans un remue-méninges à la fois réjouissant – le besoin d’expression se faisant cruellement sentir – et rebattu, tant ces enjeux sont connus depuis des années, à la manière des marronniers pour les journalistes. Rien d’inquiétant, cependant, pour les organisateurs de ces États généraux. « Nous n’avons pas de réponses immédiates, mais avons recueilli auprès de nos adhérents et de personnes très diverses des idées et des envies de réforme, précise Éric Verdin. C’est pourquoi il faut un lieu de débat. Les idées ne manquent pas ; certaines sont très intéressantes, allant dans un sens où tout le monde y gagnera. »

Le membre des E.A.T insiste sur l’urgence de « beaucoup de dialogues« , qui impliquent notamment la « possibilité de s’entourer de chercheurs » ainsi que de faire appel à des organisations éprouvées dans la mise en place de solutions liées à l’économie sociale et solidaire, telle l’association Opale, le centre de ressources pour les dispositifs locaux d’accompagnement du secteur artistique et culturel.

« Il s’agit de reprendre la main sur le festival, appuie Sophie-Anne Lecesne, des AAFA. Travailler sur ce festival, c’est travailler sur la politique culturelle. » À condition que cela se fasse collectivement car, de l’aveu de Julie Jousse, du théâtre des Barriques, « il y a beaucoup de commissions, donc il faut du monde ».

La constitution de chaque commission aura lieu d’ici septembre, mois qui lancera le début des travaux et des rencontres avec des spécialistes de l’économie sociale et solidaire. Les organisateurs espèrent la mise en place de dispositifs-tests relativement modestes dès 2021, avant un « test grandeur nature dans un maximum de lieux avec un maximum de personnes » l’année suivante. « C’est un changement véritable de l’écosystème auquel il faut procéder, conclut David Nathanson. Il faut une démarche collective, qui associe théâtres et compagnies. On ne changera rien si on ne change pas l’écosystème. »

Pierre GELIN-MONASTIER

En savoir plus : États généraux du festival Off d’Avignon

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Crédits photographiques : Pierre Gelin-Monastier



 

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