Marionnette et théâtre d’objets : enjeux locaux et internationaux

Marionnette et théâtre d’objets : enjeux locaux et internationaux
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Du 9 au 18 mai dernier s’est tenu à Bochum, en Allemagne, le Fidena. Pour l’édition 2018 de ce festival biennal dédié à la marionnette et au théâtre d’objets, trois spectacles montés par des artistes installés en France étaient accueillis. L’occasion d’échanger avec eux sur les enjeux d’une participation à un tel festival.

Parmi les lieux communs du champ théâtral français, il en est un qui pose l’international comme le Graal. Se voir programmé dans une manifestation à l’étranger constituerait, ainsi, pour une compagnie une reconnaissance et un gage de visibilité indubitables sur le territoire national. Si les trois artistes installés en France – Ézéquiel Garcia-Romeu, Narguess Majd et Gisèle Vienne – et dont les spectacles ont été conviés cette année au festival Fidena ne minorent pas l’importance d’une telle invitation, ce poncif mérite à les entendre d’être amendé, précisé, affiné.

Œuvres diverses, reconnaissance commune

"The Ventriloquist Convention" de Gisèle Vienne (crédits : Estelle Hanania)

« The Ventriloquist Convention » de Gisèle Vienne (crédits : Estelle Hanania)

Parmi leur point d’accord, tous trois évoquent la reconnaissance que constitue le fait d’être programmé au Fidena. Aussi parce le Figurentheater Der Nationen, créé à Bochum en 1958, affirme un projet à l’éclectisme aventureux. Comme l’explique Ézéquiel Garcia-Romeu, « le Fidena ayant l’ambition de se situer dans un registre de marionnettes contemporaines, avec des compagnies qui expérimentent, avec des formes nouvelles, ou en marge, cela en fait un festival important ».

D’ailleurs, que l’on se penche sur le travail d’Ézéquiel Garcia-Romeu, directeur artistique du théâtre de la Massue, sur celui de Narguess Majd, co-directrice de la compagnie Papierthéâtre avec Alain Lecucq, ou sur celui de la marionnettiste et metteure en scène Gisèle Vienne, ce sont des rapports à la manipulation d’objets différents qui sont mis en œuvre. Qu’il s’agisse du propos, du type de manipulation, de l’esthétique comme de la place du spectateur. Dans Le petit théâtre du bout du monde – Opus I d’Ézéquiel Garcia-Romeu, la scénographie configure le rapport au public : c’est autour de cet espace que les spectateurs se déplacent, afin d’observer sous différents angles des marionnettes de petites tailles évoluer dans un monde soumis au dérèglement climatique.

Pour Un secret de rue, adaptation du roman de l’auteure iranienne Fariba Vafi, la compagnie Papierthéâtre a recours à des figures de papiers constituées à partir de photographies, créant un effet de réel fort. Tandis que dans The Ventriloquist Convention, mêlant artistes du Puppentheater de Halle et interprètes français ou allemands, Gisèle Vienne a mis en scène un symposium de ventriloques. Entre manipulation et ventriloquie, chaque manipulateur révèle progressivement par le biais de sa marionnette (toutes très différentes, du coussin au pantin de bois) ses souffrances et secrets intimes.

Spectacles sous influence

Si la structure programmatrice est importante en ce qu’elle permet à une compagnie d’exister dans un champ artistique, elle participe aussi de la réception des œuvres qu’elle invite. Comme le rappelle Gisèle Vienne, « le contexte artistique influence toujours le regard sur les pièces, les attentes des spectateurs ». Cette question est d’autant plus intéressante pour la marionnette, art encore entouré parfois d’une « aura un peu sympathique », et dont la réception différera selon qu’il soit présenté dans un festival à dominante chorégraphique, « marionnettique », théâtrale ou plastique.

Pour Gisèle Vienne : « Jouer au Fidena va amener mon travail à être vu au prisme de la marionnette, de son histoire. Lorsque je le présente au Festival d’Automne ou au Centre Pompidou, la majorité des spectateurs ne connaissent pas la marionnette et cela modifie évidemment le regard, il n’y a pas la question de la technique. »

À ce sujet, la metteure en scène évoque le cas de l’un de ses précédents projets. « Dans Jerk, Jonathan Capdevielle interprète quelqu’un qui fait un spectacle de marionnettes en prison. Alors qu’il est excellent marionnettiste, les poupées sont assez rudimentaires et il les manipule mal. C’est un choix délibéré, mais qui peut parfois déclencher un regard contrarié sur le fait que le rapport à la poupée soit apparemment négligé. »

Enjeux esthétiques

Mais plus largement, jouer à l’étranger, pour quoi faire ? Côtés enjeux esthétique et artistique, Ézéquiel Garcia-Romeu rappelle les bienfaits pour des équipes de rencontrer des artistes, des spectateurs comme des professionnels d’autres cultures. « En France, nous sommes trop préoccupés par l’économie des moyens. Les modes et les esthétiques sont très contraignantes, cela crée des académismes prégnants, qui empêchent d’avancer. Je généralise peut-être un peu mais j’éprouve cette sensation à chaque fois : voyager permet de rencontrer des regards autres, de personnes plus libres. »

Les conséquences ou influences sur le travail artistique peuvent parfois concerner directement l’œuvre invitée. Ainsi, pour leur venue à Bochum, la compagnie Papierthéâtre s’est-elle prêtée à une expérience inhabituelle. Un secret de rue n’étant pas “surtitrable” en raison d’un texte trop important ; la directrice du Fidena, Annette Dabs, a proposé de l’adapter dans un dispositif spécifique. « Le spectacle étant techniquement lourd, il n’était pas possible de le recréer intégralement, explique Narguess Majd. Nous avons donc conservé la version française en manipulation et enregistré les voix en allemand ». Une adaptation qui, si elle n’a pas modifié la dramaturgie du spectacle, a eu une incidence sur certains éléments. Avec « la musicalité des langues, la culture des langues, cela a modifié des choses dans les intentions. Par exemple, les disputes se jouent différemment donc cela a changé parfois les rythmes de manipulation. Les comédiens ont dû s’adapter pour le jeu, le rythme ».

Les paradoxes de l’international

Le petit théâtre du bout du monde – Opus I d'Ézéquiel Garcia-Romeu (DR)

Le petit théâtre du bout du monde – Opus I d’Ézéquiel Garcia-Romeu (DR)

Stratégiquement, selon Ézéquiel Garcia-Romeu, « montrer son travail à d’autres professionnels n’ayant pas l’occasion de venir en France signale à l’échelon national la bonne santé artistique de la compagnie. Et puis cela peut susciter la curiosité de personnalités étrangères. C’est très enrichissant, on revient avec de nouveaux projets et de nouvelles envies ». Cette idée qu’il y a là un levier pour être diffusé et entretenir sa visibilité et sa légitimité est également soulignée par Narguess Majd. « N’étant pas française d’origine, je le ressens fortement. Les programmateurs français se montrent plus enthousiastes dès lors qu’il y a des projets à l’étranger. » Une question d’autant plus cruciale au vu des difficultés croissantes que rencontrent les compagnies pour boucler leur projet de production.

Néanmoins, si élargir sa zone d’influence atteste de la vitalité d’une compagnie, Ézéquiel Garcia-Romeu souligne l’importance « d’équilibrer les deux. La sortie hors des frontières et le local doivent s’équilibrer. Si la France devient notre base arrière, ce n’est pas intéressant. Notre travail de laboratoire et de recherche doit se compléter avec celui mené à l’étranger ».

Il ne faut par ailleurs pas omettre les différentes collectivités territoriales dans ce subtil équilibre, dont les choix sont déterminants pour la pérennité des projets artistiques. Ainsi est-ce la baisse plus ou moins progressive des subventions locales qui a amené Gisèle Vienne à déménager sa compagnie de Grenoble à Strasbourg, en 2013. Une baisse des subventions locales elle-même due… à une plus grande présence à l’international qu’en local. Installée depuis 1999 à Grenoble, la compagnie de la marionnettiste a tout de suite connu une activité dense, en France comme à l’étranger. Ayant cessé d’être programmée localement à partir de 2005 – année où, par ailleurs, elle est invitée dans le In du festival d’Avignon –, la compagnie voit petit à petit ses subventions diminuer, voire être supprimées.

Évoquant cette situation, Gisèle Vienne analyse avec justesse son caractère paradoxal : « À un moment donné, l’essence du rapport d’un metteur en scène à un territoire, c’est la présentation de ses pièces, qui constituent le cœur de son activité. Et il est compliqué d’être présent sur un territoire – d’autant plus pour une petite compagnie n’ayant pas une dizaine de salariés – lorsqu’on n’est pas diffusé sur celui-ci. » Loin d’incriminer les programmateurs de lieux grenoblois, « leur choix de programmation leur appartiennent, ils sont légitimes », la metteure en scène est plus critique à l’égard des collectivités : « Cela a été très problématique pour la compagnie car ces subventions départementales, régionales, locales sont vitales pour la compagnie ». Partie depuis à Strasbourg, notamment à la suite d’échanges avec des acteurs de la vie culturelle et politique, Gisèle Vienne revendique depuis être « européenne : ce problème du local, je l’ai réglé en me disant que mon territoire, c’est plutôt l’Europe ».

Des limites artistiques à celles politiques, il semblerait, pour paraphraser l’écrivain portugais Miguel Torga, que « l’international, c’est le local moins les murs »

Caroline CHÂTELET

Lire aussi :

– Ministère de la culture, Cirque, marionnettes : un autre regard sur le spectacle vivant (18.09.2017)

– Jacques GUILLOUX, Trois questions sur le label national pour les arts de la marionnette (15.02.2017)

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Photographie de Une – Un secret de rue, par la Cie Papierthéâtre de Narguess Majd et Alain Lecucq (DR)



 

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