Scandale du parachute doré à Audiens : récurrence du superlucratif dans le non lucratif

Scandale du parachute doré à Audiens : récurrence du superlucratif dans le non lucratif
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Le parachute doré de l’ancien dirigeant d’Audiens, groupe non lucratif, a défrayé la chronique, de même que sa défense, maladroite, arrogante et déplacée, voire totalement cynique. Hélas, ces affairistes sévissent dans bien des lieux associatifs et propres à l’ESS, comme le montrent les affaires MAM (Michèle Alliot-Marie) et Refasso. Analyse.

Tribune libre et hebdomadaire de Philippe Kaminski*

Les professionnels du spectacle se sont récemment trouvés pris à témoin dans la polémique provoquée par la révélation, dans les colonnes du Canard Enchaîné, du montant plus que confortable du « parachute doré » dont a bénéficié l’ancien dirigeant du groupe Audiens, cette galaxie d’institutions d’assurance et de prévoyance à laquelle ils sont tous plus ou moins obligés de cotiser.

Le personnage en question s’est défendu en arguant que les sommes qui lui ont été versées sont « dans la norme », et qu’il n’allait d’ailleurs pas en toucher l’intégralité puisqu’il allait devoir payer des impôts. Défense doublement maladroite, arrogante et déplacée, chacun en conviendra. Mais ce qui me semble bien plus grave, c’est qu’il ait évoqué, comme une justification supplémentaire, le fait qu’Audiens est un groupe non lucratif. Dès lors, il ne pouvait bénéficier d’attributions d’actions (gratuites ou en option, peu importe), et il lui fallait bien compenser, vis-à-vis de ses pairs dirigeants de sociétés d’assurance capitalistes, ce handicap de revenus.

Venant de la part de quelqu’un qui s’est plusieurs fois fait le porte parole des vertus du non lucratif, et qui semble prêt, au vu de son allure de jeune retraité dynamique, à rester actif dans le monde de la communication, ce discours cynique ne manque pas d’interpeller.

J’ai plusieurs fois été informé de doléances émanant de créateurs d’entreprises « sociales » qui, le jour où ils choisissaient de changer d’air et de céder leurs parts, ne pouvaient en raison des statuts qu’ils avaient choisis réaliser les somptueuses plus-values dont certains de leurs compagnons d’école de commerce ou de management, créateurs de start-up bien capitalistes, pouvaient s’enorgueillir dans les palmarès des nouveaux millionnaires.

Dans chaque cas, c’est « je chante les louanges de la vertu, mais je veux profiter des avantages du vice ». Et de notre admiration béate aussi, sans doute ?

Les choses sont pourtant claires. Dans l’Économie Sociale, dont le non-lucratif n’est qu’une composante, le capital n’est pas rémunéré, et les parts sociales (qui ne sont pas cotées) ne peuvent être cédées qu’au nominal. C’est ainsi. Le système a ses avantages, considérables, il a aussi ses inconvénients. Il faut choisir, et on ne peut avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre.

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L’actualité nous a également apporté sur un plateau d’argent la mise en examen d’une ancienne ministre, et non des moindres : MAM en personne, en cause dans une sombre affaire d’utilisation mafieuse du statut associatif. Nous sommes toujours dans le non lucratif, mais cette fois nettement de l’autre côté de la frontière délictuelle. Cependant, s’il n’y a aucun rapport entre le fonctionnement du groupe Audiens et les magouilles béarnaises de la famille Marie, on y sent un petit air de ressemblance, un écho des griefs repris à l’envi par certains contempteurs de l’Économie Sociale : dans ces structures sans représentation du capital, sans responsabilité individuelle, les organes de contrôle sont faibles et les malversations facilitées.

Il y a certes des exemples. Il est des crapules qui se sont servies dans les caisses des associations. Mais y en a-t-il eu plus, ou non, que dans les entreprises marchandes ? Personnellement, je ne le pense pas, car il y a des aigrefins partout, et partout peuvent s’exercer entre les personnes les mêmes rapports de domination, de séduction, voire de fascination, permettant à certains d’abuser de la confiance des autres. Et a contrario, les mécanismes de contrôle, dont la nature peut être très différente selon les configurations juridiques, sont le plus souvent efficaces, quoi qu’on en pense.

Mais les polémiques peuvent renaître à tout moment. Audiens, qui est un conglomérat complexe dont la marche ne peut se comparer à celle d’une simple coopérative ni à celle d’une association ordinaire, a laissé un dirigeant charismatique s’octroyer une multiplicité de privilèges et de passe-droits (comme, à un autre niveau, l’alliance Renault-Nissan ?) ; quant à MAM, elle me fait remonter par la pensée, au long de voies détournées que je me fais un plaisir d’expliquer infra, au scandale archétypal de l’ARC, cette association très médiatique qui collectait des fonds pour financer la recherche contre le cancer, jusqu’au jour où la Cour des Comptes révéla ce que beaucoup savaient déjà, à savoir qu’une large part de ces fonds étaient détournés par le président tout puissant de ladite ARC. L’émotion fut d’autant plus grande que ce personnage savait à merveille susciter la générosité du public en jouant sur la compassion envers les malades et leurs familles, alors qu’il entretenait par ailleurs un train de vie fastueux alimenté par les dons de personnes souvent fort modestes.

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Le conseiller à la Cour qui dévoila le pot aux roses s’appelait Pierre-Patrick Kaltenbach, PPK pour les intimes. Je ne m’étends pas sur sa biographie que chacun pourra aisément consulter. Que le lecteur sache seulement que le truculent et impulsif PPK a été l’homme avec lequel je me suis fâché plus qu’avec quiconque, plus que je n’aurais imaginé pouvoir jamais le faire. Nous nous sommes haïs et injuriés au delà de l’imaginable, et le bruit de nos engueulades a dû faire tressaillir les confins les plus éloignés de la Voie Lactée. Quelques années plus tard, nous nous sommes réconciliés, sans doute comme le firent Olivier et Roland dans la Légende des Siècles, effrayés l’un et l’autre par tant de fureur dilapidée sans vainqueur ni vaincu.

PPK était un parpaillot convaincu. Il aimait à me traiter de césaro-papiste. Pourtant, c’était lui qui était devenu, en quelque sorte, un pape : le pape de la rectitude et de la transparence du secteur non lucratif. Sa foi huguenote lui faisait considérer tout détournement d’argent collectif comme un blasphème absolu, et ses attaques récurrentes contre les associations lucratives sans but prenaient le tour de croisades presque hallucinées. Calviniste de tradition, il prenait pourtant ses distances vis à vis des Églises officielles, a fortiori des Églises concordataires, auxquelles il reprochait leur pusillanimité, et il voyait avec sympathie la progression des Églises évangéliques qui lui paraissaient apporter un sang neuf et une adhésion populaire. C’est dire qu’il s’était fait nombre d’ennemis jurés, dans tous les milieux. En particulier, le monde associatif institutionnel en avait fait sa bête noire, et répandait sur son compte les bruits les plus dépréciateurs.

Penser réconcilier le meilleur du PPK avec les institutions de l’Économie Sociale semblait une gageure insurmontable, et l’était en effet. Cependant, compte tenu du passé commun tumultueux qui nous unissait, je continuais de faire comme si la chose restait possible. Je le rencontrais  discrètement, lui demandant plusieurs fois d’effacer mon nom de ses circulaires. Je tentais de l’initier aux subtilités de la statistique et de la comptabilité nationale, ce qui ne l’empêchait pas de continuer à écrire des énormités (ceci étant, en cette matière, il n’était hélas pas le seul). Et jusqu’à sa disparition, j’ai maintenu avec lui un contact assez régulier et complice.

Le groupe de ses fidèles s’étant alors rapidement disloqué, il ne s’est trouvé personne pour en garder la mémoire, a fortiori pour en reprendre le flambeau. Je n’ai conservé moi-même que quelques éléments épars. À vrai dire, je ne partageais pas du tout la vision politique de PPK qui était de régénérer le civisme et la démocratie par une pratique exemplaire et vertueuse de l’engagement associatif, idéalisé comme un sacerdoce rédempteur. Et surtout, j’étais plus que sceptique sur le moyen qu’il entendait privilégier, ces « codes de bonne gouvernance » qui devenaient, d’année en année, toujours plus lourds et plus abscons. Je m’amuse aujourd’hui de voir l’idée reprise presque à l’identique par la loi Hamon de 2014, à travers le « code des bonnes pratiques », un dispositif aussi fumeux et irréel que le furent les rêveries de PPK.

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Ces désaccords sur la stratégie ne m’empêchaient pas d’apprécier la compagnie de PPK et de son groupe. Bien que restant prudemment en retrait, j’y fis la connaissance de plusieurs personnalités fortes et attachantes. Et parmi elles, un Niçois qui avait créé un répertoire privé des associations, le site Refasso.com qui conserve bien des nostalgiques. Il suffisait en effet de payer un petit droit d’accès pour consulter les archives des déclarations d’associations au Journal Officiel. Notre homme avait eu l’idée, créé son entreprise, répondu à un besoin… que de louanges n’aurait-il pas méritées ? Mais il n’en alla pas ainsi. L’idée, c’était d’utiliser la montée en puissance des outils numériques pour pallier la carence du ministère de l’Intérieur, incapable de mettre ses données sur les associations à la disposition du public. Or l’Intérieur a beau être le ministère des flics, son bureau des associations était peuplé de trotskistes bon teint pour qui laisser une entreprise privée gagner de l’argent avec des données publiques était un scandale insupportable.

Le premier à m’avoir parlé de Refasso était le statisticien du ministère des Sports, lequel avait alors la tutelle de la vie associative. Pourquoi créer de toutes pièces un répertoire chez nous, alors qu’il en existe déjà un ? Établissons un partenariat avec Refasso, ce sera plus simple, déclarait-il. Il lui fut vite ordonné de se taire, et l’on vit la naissance du méga-projet Waldec (WEB des associations librement déclarées) piloté par l’Intérieur, dont les informaticiens n’avaient aucune compétence en matière de répertoires. Cette usine à gaz s’échoua dans les sables après avoir englouti beaucoup d’argent (public) et finit par donner naissance à une version fermée et fortement rétrécie, l’actuel RNA (Répertoire national des Associations). Mais il fallait au départ, pour que l’aventure menant à ce fiasco disposât d’une voie libre, tuer Refasso.

On commença par les pressions et la calomnie. Refasso fut qualifié de gang d’affairistes, et ces accusations reprises en boucle dans tous les cénacles d’associations subventionnées. La Macif fut contrainte de retirer son parrainage. J’ai pu voir combien les réseaux de l’Économie Sociale ont pu être facilement manœuvrés et mis au service de cette chasse à l’homme ; c’est là le revers sordide de la solidarité… De mon côté, pensant qu’il n’y avait peut-être pas de fumée sans feu, je fis deux fois le voyage de Nice pour me faire ma propre idée sur Refasso. Je fus d’abord accueilli avec méfiance, puis les choses se dégelèrent progressivement et nous en vînmes à échafauder des projets communs. Privée de ses sponsors, contrainte par un climat hostile, Refasso me fit l’effet d’une petite entreprise sympathique qui se débat pour survivre et qui regorge d’idées, comme il en existe des milliers dans tous les secteurs d’activité.

Mais ni PPK ni moi n’avions les moyens de sauver Refasso de l’estocade finale. Ce fut le cabinet de MAM, alors ministre de l’Intérieur, qui s’en chargea. Non pas directement, mais par l’entremise de Bernard Marie, le père de MAM, ancien homme politique et arbitre de rugby aux fréquentations douteuses. La sécurité informatique était alors dans ses balbutiements et il ne lui fut pas difficile de pirater, depuis les ordinateurs de la maison des flics, la base de données de Refasso et de la faire exploser. Je ne sais quels usages il en fit par la suite, mais l’entreprise niçoise ne réussit pas à reconstituer son outil de production à partir de ses sauvegardes, et fut obligée de licencier son personnel et de fermer. La sale besogne était accomplie. Et je n’ai plus jamais revu mon Niçois.

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Ce n’est pas pour ce fait d’armes que la dame MAM est aujourd’hui sous les feux de la justice, mais j’aime à le prendre ainsi. À évoquer tous ces souvenirs, auxquels Audiens vient d’ajouter un nouvel épisode, je me dis que les affairistes ne sont pas toujours là où on le croit, et qu’en ouvrant toutes grandes ses portes aux « entreprises sociales », l’ESS de la loi Hamon a fait un choix qui n’est pas exempt de risques.

 

Philippe KAMINSKI

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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, notamment en lien avec l’ESS.



 

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