Une Clef peut-elle en cacher une autre ?

Une Clef peut-elle en cacher une autre ?
Publicité

L’occupation de la Clef, cinéma parisien d’art et d’essai situé au cœur du Quartier latin, révèle un conflit mêlant trois organisations qui se disent liées à l’économie sociale et solidaire. Trois conceptions économiques, politiques et idéologiques de l’ESS fort divergentes.

Actualité de l’économie sociale

Mes connaissances sur le cinéma, comme d’ailleurs sur la télévision, tangentent vers les abysses du zéro absolu. Je ne vous entretiendrai donc de l’affaire de l’occupation du cinéma parisien d’art et d’essai

La Clef que sous l’angle qui justifie ma chronique dans Profession Spectacle, à savoir l’appartenance de chacun des protagonistes concernés à l’Économie Sociale, et ce qui en découle.

Bien que l’entrée de la salle se trouve rue Daubenton, le bâtiment qui l’abrite longe la rue de la Clef, d’où son nom. Il ne faut pas y chercher plus de mystères qu’il n’y en a déjà.

Le collectif qui occupe les locaux a publié dans Libération, le 31 janvier, une tribune dans laquelle il explique ses positions et appelle tous les défenseurs de l’art, de la liberté de création et des squats solidaires à le soutenir. Comme tout plaidoyer pro domo, celui-ci convaincra d’emblée ceux qui ne demandent qu’à être convaincus, et en laissera bien d’autres de marbre. Une bordée de signatures est rapidement accourue appuyer le manifeste ; mais cet exercice pétitionnaire, coutumier au lectorat de Libé, n’aura pas impressionné le tribunal qui a ordonné l’expulsion des occupants, au besoin par la force publique.

Au travers d’une écriture inclusive particulièrement indigeste et d’un vocabulaire gauchiste des plus primaires, le collectif se présente à la fois comme une association sans but lucratif, adossée à un fonds de dotation, et comme un mouvement informel associant artistes, militants et riverains. Mais quoi qu’il en soit de ses statuts, il se revendique par son esprit comme l’avant-garde d’une économie solidaire qu’il entend renouveler. Et il n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser le propriétaire des locaux et le seul candidat acquéreur qui se soit fait connaître, qui tous deux font bel et bien partie de l’Économie Sociale et s’en réclament à des titres divers.

Le propriétaire, c’est la Caisse d’Épargne, vieille institution devenue banque coopérative, intégrée depuis dans le groupe BPCE. C’est plus exactement son comité d’entreprise, dirigé par le syndicat CFE-CGC. À chacun de ces échelons, on se déclare prêt à accueillir avec sympathie tout projet de mécénat d’art ou de culture populaire, mais si on vous désigne d’emblée comme l’ennemi de classe et si on occupe illégalement vos locaux, la sympathie s’arrête assez vite, et je le comprends.

Et l’acheteur déclaré, c’est le fameux groupe SOS. Que vient-il faire dans cette galère ? Un geste de solidarité gracieuse, un simple coup de main pour rendre service, a-t-on laissé entendre. Cela ne lui ressemble guère. Après avoir fait le plein dans les services à la personne, veut-il s’investir dans la culture ? J’ignore si La Clef est une bonne porte d’entrée, mais c’est une hypothèse à considérer. Et je ne pense pas qu’il puisse s’agir d’une bonne nouvelle. En tous cas, le collectif ne se gêne pas pour dénoncer le clinquant factice et cupide de l’entrepreneuriat social dont se réclame le groupe SOS… et c’est la partie la plus pertinente, la seule d’ailleurs, de son Manifeste.

Nous avons donc trois organisations faisant partie de l’Économie Sociale, l’une statutairement (la Caisse d’Épargne), la seconde parce qu’on l’a bien voulu (le groupe SOS) et la troisième parce qu’on ne peut pas faire autrement (les squatteurs), qui sont en guerre pour une simple clef. Il est loin, le tableau idyllique de l’entraide coopérative ! C’est là qu’on voit qu’on a quitté le monde des idées pures pour celui de la vraie vie. Et franchement, j’avoue que je ne verrais pas d’un mauvais œil que la maréchaussée vienne déloger les zadistes et que le terrain soit vendu à un promoteur. Le cinquième arrondissement a bien assez de cinémas, et il manque de logements. Il a vu disparaître les Presses universitaires de France (qui avaient abandonné leur statut coopératif en 1999), il est en train de perdre Gibert Jeune, ce sont des blessures bien plus importantes que la perte d’un cinéma de zonards dont les productions woke ou queer pourront trouver asile ailleurs.

Car la politique de bas étage n’est pas absente de la bagarre de La Clef. Les occupants représentent l’extrême-gauche dans toute sa diversité, la Caisse d’Épargne s’est laissée enfermer dans un rôle de banquier conservateur et sans imagination, alors que le groupe SOS n’existe en public qu’à travers son créateur et patron emblématique, par ailleurs l’un des principaux conseillers d’Emmanuel Macron. Curieux personnage que ce Jean-Marc Borello, objet depuis trente ans de quantité d’attaques et de polémiques, mais qui s’est toujours montré intouchable, et qui au sein du triangle hétéroclite formé autour de La Clef paraît bénéficier aujourd’hui, on s’en serait douté, de la bienveillance du ministère de la Culture. Les élus parisiens évitent de l’attaquer frontalement et s’en trouvent dans une position inconfortable. Aucun de ceux qui se veulent responsables ne peut soutenir explicitement des zadistes qui se sont mis dans l’illégalité ; faute de pouvoir prendre parti pour l’un ou pour l’autre, ils en sont réduits à lancer de vains appels à une solution négociée dans la bonne volonté ; autant dire, laisser la Justice suivre son cours.

Au temps où l’on préparait la loi Hamon de 2014, le groupe SOS et son mentor étaient au cœur des débats sur l’extension du périmètre de l’Économie Sociale aux « entreprises sociales » dont il était le plus vivant symbole, et souvent aussi le porte-parole. Dans les couloirs, tout le monde en disait pis que pendre. Ce type-là est pire que Bernard Tapie, il ne pense qu’à s’enrichir, il n’a aucun scrupule, ai-je maintes fois entendu. Mais personne n’osait le dire tout haut, ni l’attaquer en face, car ce serait immédiatement se faire taxer d’homophobie. Tout le monde en était tétanisé.

Puis Macron est arrivé, Borello s’est mis à son service, et cela l’occupe. Voici l’Économie Sociale soulagée d’un grand poids. Certes, le nouveau gouvernement a commencé par supprimer l’ancienne Délégation à l’ESS et à la remplacer par un Haut Commissariat où a été nommé un représentant de l’entrepreneuriat social, un fidèle de Borello ; mais il n’a jamais été vraiment accepté et a fini par partir.

Je ne voudrais pas que le monde de la Culture devienne l’objectif, la prochaine proie de Borello. Si l’Économie Sociale a fini par s’en tirer, c’est qu’elle représentait finalement un enjeu assez mince, trop mince pour son potentiel prédateur. La Culture est davantage à la mesure de son appétit démesuré. Méfiance !

Philippe KAMINSKI

.
Lire les dernières chroniques de Philippe Kaminski
Champagne pour Railcoop
L’économie circulaire dans le concret des déchets
Peut-on résister à l’obsolescence programmée ?
Circulaire ou solidaire, faudra-t-il choisir ?
Mourir plus tard, mourir trop tard…
Trop isocèle, trop haute, trop pointue, qui veut la mort de la tour Triangle ?
.



Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.



 

 

Publicité

2 commentaires

  1. Si l’auteur de cet article affligeant se donnait la peine de lire la recherche de fonds, il verrait que l’initiative n’est pas spécialement gauchiste ou je ne sais quoi… mais encore faut-il avoir envie de comprendre plutôt que de se contenter de préjugés pour le moins à côté de la plaque.
    https://www.helloasso.com/associations/cinema-revival/collectes/sauve-qui-peut-la-clef

  2. Encore une fois, M. Kaminsky raconte de grosses âneries sur des choses qu’il ne connaît pas, ici, le cinéma la Clef. Je pense qu’il n’a jamais connu la programmation et ce qui s’y déroulait pour insulter les gens à ce point-là.

    Et puis, c’est quoi cette manière d’interpeller les personnes en leur donnant des qualificatifs comme « gauchistes », « woke », « queer » ? En fait ça signifie quoi ? Tout le propos est d’une telle bêtise. Parce qu’il ne sait rien, parce qu’il manque d’informations et qu’il ne prend pas la peine de se renseigner sérieusement, il appelle à sa rescousse toutes ses aigreurs (il manque les islamo-gauchistes), mais ça ne fait pas arguments.

    Ce genre de texte, bête et simpliste, qui ne participe d’aucun effort intellectuel, même contradictoire, est une bien piètre contribution. Profession Spectacle ne nous avait pourtant pas habitué à ça…

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *