Viser la pérennité, plus que la rentabilité : un exemple d’ESS dans le champ éditorial

Viser la pérennité, plus que la rentabilité : un exemple d’ESS dans le champ éditorial
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La question de l’articulation entre arts, droits culturels et économie sociale et solidaire est toujours plus au cœur des problématiques soulevées par Profession Spectacle. En témoigne la table ronde qui aura lieu jeudi prochain à 18h, dans le cadre des BIS de Nantes*. Nous avons demandé à Pierre Banos, éditeur, directeur de collections des éditions Théâtrales et enseignant-chercheur, de nous présenter sa maison d’édition qui a la particularité d’être, depuis deux ans, une Scic.

[Tribune libre]

Permettez-moi un pas de côté dans ma réponse à cette question déterminante de l’avenir du spectacle grâce aux valeurs et au fonctionnement de l’économie sociale et solidaire, en évoquant brièvement un secteur partenaire du spectacle, à savoir l’édition théâtrale. Située entre littérature et spectacle – pour reprendre un mot fameux de Michel Vinaver – l’édition de théâtre est coutumière de ce pas de côté, voire de cet à-côté, assumé, autant que parfois subi.

La transformation des éditions Théâtrales en Scic

Mais j’imagine aisément que le parallèle avec la situation du spectacle vivant est tout à fait pertinent, même si nous sommes ici dans un cas de figure « privé » (non dépendant de subventions étatiques ou para-étatiques en dehors de subventions au projet consenties par le Centre national du livre) et dans le champ des industries culturelles, le fonctionnement (petites structures en nombre d’intervenant.e.s, à ceci près que les intervenant.e.s salarié.e.s ne sont pas artistes, ce sont les auteur.ice.s qui remplissent ce rôle) et certaines valeurs sont communes. Je m’en tiendrais donc ici à l’expérience récente des éditions Théâtrales, maison indépendante depuis 1981, mais Société coopérative d’intérêt collectif (Scic) depuis l’automne 2015.

Par leur transformation récente en Scic, les éditions Théâtrales ont ainsi rejoint formellement le champ de l’ESS et ont entamé une nouvelle étape dans leur histoire, car la maison ne s’est jamais assoupie, ni n’est complètement et définitivement pérennisée, le contexte économique du livre et du théâtre étant trop fragile. Mais cela vise plutôt la poursuite d’un travail dans ce contexte difficile et très changeant. Les éditions Théâtrales sont ainsi la deuxième maison d’édition en Scic après Anacharsis, située à Toulouse.

À qui sert la coopération ?

Le sens de cette transformation en société coopérative s’observe à plusieurs niveaux : premièrement, ce statut correspond pleinement à ce que Théâtrales est depuis 1990 : une société commerciale qui place ses bénéfices dans son activité, tout en défendant des valeurs humanistes et coopératives, déjà en multi-actionnariat, aujourd’hui en multi-sociétariat ; deuxièmement, une Scic est obligatoirement constituée d’un minimum de trois catégories : les salariés (deux des quatre salariées de la maison sont sociétaires) ; les bénéficiaires, qui sont pour Théâtrales, les auteur.ice.s (quinze d’entre elles.eux sont sociétaires) ; et la troisième catégorie libre s’est finalement transformée en douze autres catégories (théâtre et compagnies, personnalités du monde de l’éducation, collectivités locales, soutiens, lecteurs…) pour permettre à un champ large d’intervenant.e.s de rejoindre cette aventure éditoriale, artistique et militante.

Dès lors, quel serait « l’intérêt collectif » pour une maison qui défend les écritures contemporaines depuis 37 ans, tant sur les textes français, francophones et en traduction que dans le domaine du théâtre jeunesse ? Comment opérer un virage « coopératif » alors que l’édition est intrinsèquement affaire de choix, de ligne éditoriale ? Finalement, à qui « sert » l’existence de cette maison ? À ses salarié.e.s, qui travaillent dans une maison humaine et répondent à cela par un investissement important, certes. Mais cette maison est avant tout celle des auteur.ice.s, qui sont les bénéficiaires véritables, tant par les nouveautés publiées, que pour ce fonds de 750 livres qui perdure depuis 37 ans, grâce à des efforts de stockage, de réimpressions ou de numérisation. Et mettre les auteur.ice.s au centre de la maison, c’est bien placer l’artistique au cœur de notre démarche, alors que la volonté de changement de statut (de Sarl à coopérative) est née de difficultés économiques et du constat de l’épuisement d’un modèle de Sarl culturelle issu des années 1980-90.

La transformation a même permis d’élargir l’objet de la société comme le stipule ses statuts qui montrent que Théâtrales vise : « la diffusion de l’écriture théâtrale ainsi que la promotion de ses auteurs. La société développera particulièrement son action au moyen de l’édition, publication et diffusion de livres et revues ainsi que de toutes les activités annexes se rattachant aux créations liées aux arts du spectacle et aux activités éducatives ».

Un geste politique, solidaire et artistique

Aberration économique disait-on de l’édition théâtrale ? Le statut de Scic me semble mettre en œuvre une viabilité, quand la Sarl visait avec peine la rentabilité. La totalité des œuvres achetées par des lecteur.ice.s, des gens de théâtre, de l’éducation, fait que nous pouvons poursuivre le chemin et que se forme de fait une chaîne de solidarité dans une société qui vise à marginaliser cela. Donc oui, geste artistique et culturel, objet premier de la société. Mais geste également politique que ce changement de statut, et geste pour que Théâtrales ait toujours bien conscience de son écosystème et de ses évolutions.

Le recul est encore trop modeste pour tirer un bilan de la période coopérative de Théâtrales et pour comprendre si un tel modèle est exemplaire, mais force est de constater que la spirale économique négative a été enrayée aussi grâce à cette transformation qui a redynamisé l’environnement de la maison.

ESS et culture : un enrichissement réciproque

Je suis persuadé que, dans une perspective d’enrichissement réciproque, le monde de la culture a tout intérêt à observer pour les faire siens les nouveaux fonctionnements et les valeurs véhiculées par l’ESS (prééminence de la personne humaine, démocratie, solidarité, intégration sociale, économique et culturelle dans un territoire…) ; comme il a beaucoup à apporter à ce champ économique dans lequel il demeure encore assez marginal.

Or, cette marginalité des structures culturelles et/ou de spectacles vivants ne paraît être qu’un fait conjoncturel (méconnaissance par le secteur de ce type d’organisation…) alors que, structurellement, le champ culturel est précisément le socle de toutes valeurs. Les objectifs et les moyens visés et déployés par le secteur culturel semblent même en parfaite adéquation avec ceux de l’économie sociale et solidaire. Il s’agirait même, en se laissant dans un premier temps « contaminer » par l’ESS, de disséminer ensuite ce secteur des valeurs de l’art et de la culture.

En s’appropriant les processus de décision collective, une possible nouvelle définition des buts d’une entreprise culturelle ainsi que la dimension intrinsèque d’intérêt collectif que représente la création artistique, le monde de la culture pourrait enfin faire résonner, en l’actualisant, l’une des devises de Vilar : « le théâtre, au premier chef, est un service public, tout comme le gaz, l’eau, l’électricité ». Théâtrales se vit comme un éditeur privé de service public, charge à la nouvelle Scic de réinterroger cette notion.

Pierre BANOS

Éditeur (direction de collections des éditions Théâtrales) et enseignant-chercheur (maître de conférences en sciences de l’information et de la communication).



* TABLE RONDE AUX BIS DE NANTES

18 JANVIER 2018 À 16H

Dans le cadre des BIS de Nantes, le jeudi 18 janvier prochain à 16h, Profession Spectacle organisera un atelier sur le thème : « Une économie sociale du spectacle est-elle possible ? »

Cette table ronde réunira :

  • Philippe Kaminski, ancien président de l’ADDES et actuel représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte d’Ivoire (RIESS)
  • Bernard Latarjet, conseiller culturel, auteur d’un rapport sur ESS & Culture pour la Fondation Crédit Coopératif
  • Stéphanie Thomas, présidente de l’Ufisc

Atelier modéré par Pierre Gelin-Monastier, journaliste et critique, rédacteur en chef de Profession Spectacle.

Conclusion : Michel Chantegrel, magicien, fondateur du groupe Profession Spectacle.

ATTENTION – Nombre de participants limité
Inscriptions obligatoires sur le site des BIS à partir du lundi 15 janvier à 10h



Photographie de Une – Équipe des éditions Théâtrales autour de Pierre Banos
(Crédits : Pierre Gelin-Monastier)



 

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