MP 2018 : l’art a-t-il encore un sens pour les politiques ?

MP 2018 : l’art a-t-il encore un sens pour les politiques ?
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Il semble bien qu’une suite sera donnée à Marseille-Provence capitale européenne de la culture. Son nom de code est MP 2018 et son thème « Quel amour ! » Si les promoteurs de cet événement festif et culturel s’en réjouissent, il n’est pas sans éveiller en nous l’esprit critique et les questions. Quelle est sa mission ? Dans quelle perspective artistique s’inscrit-elle ; dans quel projet de civilisation ?

[Enquête]

« Après 2013, on voulait continuer », dit Gilles Bouckaert, directeur du théâtre des Salins, scène nationale de Martigues, qui fait partie du comité artistique de MP 2018. « Nous avions mis en route une dynamique qui fut l’occasion pour beaucoup d’acteurs culturels de se croiser, de se rencontrer ; l’occasion d’un maillage du territoire culturel. Il y a eu cette année culturelle, mais le plus important est ce qui vient après. C’est de savoir si les graines plantées donneront des pousses », nous a confié de son côté Bernard Foccroulle, le directeur du festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, qui compte aussi dans le comité artistique.

Ainsi se sont-ils remis en route vers 2018, avec Jean-François Chougnet, président du Mucem et ancien directeur général de MP 2013, Macha Makeïeff, directrice de la Criée, théâtre national de Marseille, d’autres encore. « Du (très) beau monde », estime la CCI Marseille Provence. Tant mieux. Mais, d’une part, la CCI en est un des promoteurs, en l’absence des politiques ; d’autre part, rassembler du beau monde ne suffit pas à faire un projet. Ne suffit pas à faire l’unité, à faire œuvre commune, même si c’est un bon début.

Le délitement des politiques culturelles publiques

Il n’est nullement interdit de critiquer les politiques culturelles publiques mises en place à une époque où l’unité du pays passait par une unité culturelle battant diversement sous un même sein, mais organisée dans le but d’un rayonnement mondial et d’une fierté séculaire à ne pas trahir. C’était toutefois la haute époque d’une politique publique menée en faveur de la culture comme bien précieux, avant tout immatériel, celle née sous l’impulsion d’André Malraux et qui s’est poursuivie jusqu’à Jack Lang. De Gaulle s’est montré, sinon grand écrivain, fin mémorialiste ; Pompidou avait la passion de l’art ; Giscard avait encore des lettres, Mitterrand fut peut-être un écrivain raté.

Depuis, l’on cherche le président qui saura relever le gant de cette France, mère des arts, qu’invoquait du Bellay. Les ministres de la culture qui se sont succédé furent à l’avenant. Insensibles sinon incultes, ennuyés sinon insultants. Ils ont géré leur portefeuille ministériel avec un souci comptable de haut-fonctionnaire probe. Est-ce ce qu’on leur a demandé ? Il semble bien. Ne nous étonnons donc pas que certaines régions soient administrées d’une même main sourde et muette, l’exemple vient d’en-haut.

La politique aux abonnés absents

Laurent Carenzo, membre fondateur de Mécènes du Sud, ancien conseiller du président Jacques Pfister à la CCI de Marseille-Provence, ancien chef de cabinet et directeur de la stratégie et de la communication de l’institution, nous le confie d’autant plus librement qu’il s’est mis en retrait de ces affaires-là : les institutions économiques se sont substituées aux institutions politiques qui n’assument pas leur rôle.

L’institution politique est aux abonnés absents à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône. Les puissances politiques locales leur ont laissé organiser la candidature de Marseille-Provence capitale européenne de la culture, car elles ne croyaient aucunement à un succès possible. Et quand le succès est venu, les institutions politiques ont reproché aux instances économiques la place qu’elles y avaient prise. « En 2013, ajoute-t-il, le ministère nous soutenait, mais les collectivités locales ne répondaient pas. Puis, elles ont fait en sorte que rien ne puisse renaître, c’est pourquoi la suite n’aura lieu qu’en 2018. » Bernard Foccroulle nous l’a aussi confirmé : « le monde politique était distant. Il y avait peu de soutien et de demande de sa part, après MP 2013. » D’ailleurs, Laurent Carenzo affirme que tous pensent la même chose que lui, mais qu’ils ne peuvent pas l’exprimer aussi librement.

De notre côté, nous nous heurtons au mutisme des institutions locales. En dépit de nos sollicitations, le département des Bouches-du-Rhône ne nous a jamais répondu. A l’échelon de la région, même silence écrasant. Tous les « acteurs culturels » s’accordent là-dessus : on ne sait rien de la volonté culturelle des instances publiques régionales. Les budgets suivent, nous explique Gilles Bouckaert, ils sont même en légère augmentation, mais il n’y a aucune politique claire et identifiée, de la part du conseil régional.

Un public ignoré : les classes moyennes inférieures

Alors ? Gère-t-on une politique culturelle comme une politique des transports ? Avec la même froideur technocratique ? Dans les Bouches-du-Rhône, nul ne voit l’enjeu d’une politique culturelle, affirme Laurent Carenzo. D’abord parce qu’Aix-en-Provence et Marseille se livrent une bataille serrée ; ensuite parce que ce département et l’agglomération de Marseille ont une logique clientéliste férocement implantée. L’ancien journaliste, qui a aussi dirigé la communication de l’Olympique de Marseille, en sait quelque chose. L’enjeu est pourtant de taille, quand on regarde le résultat des élections présidentielles. Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête à Marseille, non loin devant Marine Le Pen, au premier tour. Dans le onzième arrondissement, cette dernière est en tête. Et ainsi de la partie Est de l’agglomération marseillaise où s’étendent les zones périurbaines, pavillonnaires, cette France périphérique circonscrite par le géographe Christophe Guilluy.

« Ces quartiers et ces villes n’ont pas d’équipements culturels et les temps de transport pour se rendre dans le centre de Marseille sont monstrueux. Au contraire, les habitants des quartiers Nord peuvent se rendre au Mucem en un quart d’heure de bus, voire en dix minutes, à scooter. Depuis les années 1980, la priorité culturelle a été donnée aux quartiers Nord. Les plus pauvres vivent dans le centre. Mais les zones périphériques où vivent les classes moyennes inférieures sont les plus difficiles à toucher. Ce sont celles où le FN atteint son score le plus haut, » affirme le directeur du Mucem, Jean-François Chougnet, qui définit ces habitants comme la classe moyenne inférieure. « Le public le plus éloigné de la culture, ce n’est pas celui des quartiers populaires et difficiles, ce sont les professions libérales, les populations vivant dans les zones pavillonnaires, » affirme Gilles Bouckaert, directeur de la scène nationale de Martigues.

La prédominance de l’économie ?

Suffit-il d’injecter de l’argent pour que tout reparte ? Suffit-il de parler d’amour et de dire que l’on donnera plus de place aux cultures dites urbaines pour rassembler la population, pour faire œuvre commune ? Nous sommes en droit d’en douter et les résultats des dernières élections prouvent qu’un événement comme MP 2013 ne semble pas avoir beaucoup rasséréné les Marseillais et les Provençaux.

Pas plus que les sommes faramineuses qui sont dépensées dans les banlieues françaises depuis des décennies n’ont donné à leurs habitants le désir d’appartenir à une culture française, européenne. Tout un chacun, aujourd’hui, revendique sa propre culture. Tel est, nous semble-t-il, le résultat de trente années de néolibéralisme qui accouche invariablement d’une multitude de communautarismes. Il y a longtemps eu la place en France, comme dans chacune de ses régions, pour une culture populaire dans laquelle la culture savante, peut-on dire, puisa pour s’enrichir. À présent, il semble que nous assistions à une guerre des cultures, comme à une guerre des quartiers.

C’est que l’aspect économique prédomine. C’est le sens du rapport ô combien surprenant du Deps, édité par le ministère de la culture et de la communication, intitulé Évaluer les politiques publiques de la culture. Tout n’y est que chiffres, rentabilité, retours sur investissement.

L’art, dans tout ça ?

À beau jeu ensuite de critiquer le rôle déterminant des « acteurs économiques », CCI en tête dans l’organisation de MP 2018, comme dans celle de MP 2013, celui qui a délaissé son latin et qui s’insurge que d’autres le parlent. Mais à part distribuer des subventions, que font l’État et les collectivités territoriales ? Assument-t-ils leur charge de vox populi ? Leur rôle d’organisateur et d’unificateur de la Cité ? Le berger a beau crier au loup, tirer des coups de semonce pour l’effrayer, celui-ci dispersera le troupeau que l’homme n’a pas su unir et rassurer.

Avons-nous encore une culture commune ? Avons-nous seulement l’ambition d’en avoir ? C’est aux artistes de nous le prouver, mais où sont-ils ? Pour MP 2018, il y a beaucoup d’enthousiasme, bien des bonnes volontés, de grands mots et de grandes promesses, mais nulle programmation, pour l’heure. N’est-ce pas là mettre la charrue avant les bœufs ? Faute d’investissement politique, est-ce pour l’instant autre chose qu’une grande coquille vide ? À force de vouloir faire ensemble, n’a-t-on pas oublié ce que l’on voulait faire ? Gare à ce que ce projet ne soit pas une festivité obligatoire de plus pour esbaudir quelques touristes et quelques privilégiés, pour donner du grain à moudre au grand spectacle médiatique et du noir à broyer pour les laissés-pour-compte qui n’y verront encore que gâchis d’argent public, clientélisme, banquet auquel ils ne se sentent pas conviés ou, pire encore, mise à mal de leur heimat.

Matthieu de GUILLEBON

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