Ça ira mieux demain, c’est sûr

Ça ira mieux demain, c’est sûr
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Où notre chroniqueur amusé regarde avec un œil gourmand le monde merveilleux sortant de cette épidémie de néant.

RESTEZ CHEZ VOUS

EN VILLE
Les gens suivent leurs chiens et ramassent leurs crottes.
Voici du vieux théâtre une idée qui me botte.

Peut-être cette fermeture des théâtres, cinémas et musées n’est-elle rien d’autre que la rencontre sur une France de dissection de ces deux choses très mal nommées : l’exception culturelle et la cancel culture.

Ces deux choses, d’ailleurs, en font-elles encore vraiment deux ? L’effacement de la culture n’est-il pas le programme en cours de la plupart des institutions culturelles ? Lesquelles ont une petite génération de retard sur l’école (de la maternelle à l’université) qui nous bombardera bientôt d’une nouvelle génération d’enseignants illettrés…

Pour être parfaitement honnête, je trouve cet effacement de l’effacement assez réjouissant. Pour l’instant, je ne puis voir ni massacrer Molière ni torcheculer les saloperies idéologiques néoféministo-décoloniales bienvenues. Cela ne me prive pas beaucoup.

Je reste chez moi. D’autant que les bars, hélas, sont fermés.

Souvenir. Une amie metteur en scène me dit, de directeurs de lieux culturels : – Ils ont trouvé ton texte trop sombre, sans issue ; d’autant que ça se passe dans le futur. Ils nous ont même reproché à la fois de désespérer les gens et de les prendre pour des cons. Ce qui est presque à coup sûr contradictoire. – Ces marchands de sirop pour débiles légers qui n’ont plus que des profs de collège dans leurs placards à spectacles, ils passent leur temps à se chier dessus et, pour compenser, de leur micro-pouvoir, à caporaliser les artistes-quémandeurs qui leur passent sous la main… Ils ne comprennent pas que c’est lorsqu’on sait justement qu’il n’y a rien à faire, que tout est foutu, qu’on peut se détendre, s’en foutre, aller bien et même s’émerveiller de la très stupéfiante beauté de ce monde de merde.

N’attendant rien de mes contemporains, plutôt craignant de naufrager suffisamment pour encourir leur reconnaissance, je pense que les choses intéressantes se créeront hors de ces espaces dédiés à la haine de la culture.

Il y a, sans doute, des exceptions. Je le mentionne complaisamment, afin que chaque lecteur se puisse figurer en être une, ou en participer.

– Tu ne crois pas que ça ira mieux demain ? – C’est tellement improbable qu’il est certainement criminel de l’espérer. – Tu connais la fausse citation archi-rabâchée de Gramsci : « Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté » ? – La volonté ? Rien à battre. Tout est déjà à volonté dans ce monde, et surtout la bêtise…

La charte de communication de l’État, trouvée par hasard en écrivant cette chronique, recommande, pour être mieux compris des citoyens, la multiplication des points, la raréfaction des virgules, l’abandon du point-virgule.

Ah, cette perle, à propos du point : « Plus vous l’utilisez, plus vos phrases sont courtes. » Je me demande si on ne va pas finir par confondre un roman de James Ellroy avec une communication du sous-secrétariat à l’harmonisation des bordures de trottoir.

À ce train-là, qui est une manière de TGV de l’abrutissement national, il est à craindre, pour être compris du plus grand nombre de citoyens, qu’on ne s’adresse dans quinze ans à eux que dans un langage simplifié : « Voter bien. Pas voter pas bien. Toi voter bien. »

Ça clair ? Je ne comprends pas pour quelle raison, alors que tant d’enfants peinent à maîtriser une orthographe qu’on ne leur enseigne presque plus, l’Éducation Nationale ne se rue pas tout de suite à promouvoir ce français simplifié, au lieu de s’égarer dans les complications imbéciles de l’écriture all inclusive.

« Voter bien. Pas voter pas bien. Toi voter bien. » On dirait du théâtre contemporain, je le note en passant. La manie – jusque chez un Pommerat, par exemple – de noter les improvisations d’acteurs de moins en moins lettrés devrait également mener à une simplification radicale de la langue. Ne parlons pas d’appauvrissement, ce serait sacrilège, il est question de poésie – paraît-il.

« Les acteurs, ils sont comme tout le monde, c’est des gens que ils pensent. » Je me demande si je ne vais pas adopter cette technique. C’est simple et efficace. Cela a bien sûr l’inconvénient d’être complètement con, mais il n’est pas certain, dans les publics avertis, qu’on s’en aperçoive.

Mais je m’égare. Je ne devrais pas plaisanter. Je ferais mieux de retourner à mon travail, qui consiste ces derniers jours à écrire une multitude de pièces très courtes et très précises, aux didascalies détaillées, que je nomme hyperbrèves – de quatre ou neuf répliques –, situées à différentes époques et dans différents lieux, sans me soucier de ce qu’on appelle des productions.

Ainsi, 229 hyperbrèves, c’est 600 personnages qui parlent en 791 répliques ; 164 de plus qui ne disent rien ; 118 qui meurent en scène, parce que les cadavres, c’est beau, c’est bon, c’est bien. Et ce n’est pas fini !

Pascal ADAM

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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique.



 

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