« Petite histoire de la photo » de Ian Haydn Smith : voyage avec les yeux, le cœur et la tête

« Petite histoire de la photo » de Ian Haydn Smith : voyage avec les yeux, le cœur et la tête
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Les éditions Flammarion viennent de faire paraître en français la belle Petite histoire de la Photo du critique et écrivain britannique Ian Haydn Smith : un ouvrage synthétique et clair, qui trace les grandes lignes d’un art à l’évolution rapide, jusqu’à brouiller sa définition et laisser penser qu’il peut être le fait du moindre détenteur de smartphone.

« C’est une illusion que de croire que c’est l’appareil qui fait les photographies…
Elles sont faites avec les yeux, le cœur et la tête
. »
(Henri Cartier-Bresson)

Qu’est-ce que la photographie ? Un langage ou une image ? une représentation ou une présence dans l’absence ? une écriture ou une perception ? un artefact ou une entité conceptuelle ? un imaginaire ou la conscience d’un objet ? une réalité physique ou un fait social ?

Absence de distinctions

Il peut paraître étonnant qu’Ian Haydn Smith non seulement ne tranche pas ces différents questionnements (on ne saurait le lui reprocher), mais encore ne les aborde jamais – ce qui est tout de même curieux étant donné que la sélection des photographies repose implicitement mais nécessairement sur un positionnement personnel de l’auteur au regard des différentes alternatives que nous venons d’énoncer.

Il se contente en effet de poser une distinction, sans la commenter, dans l’introduction de son ouvrage : « Si pour certains, la photographie était avant tout un adjuvant des beaux-arts, alors que d’autres la considéraient comme un instrument permettant de capturer la réalité quotidienne, tous s’accordaient à y voir une discipline à part entière, nécessitant du temps et de la concentration. Ces deux approches divergentes ne cessèrent de se ramifier, notamment au début du XXe siècle, au moment où divers mouvements artistiques s’emparèrent de la photographie et inaugurèrent des expériences formelles et techniques variées. »

Nous aurions envie de répondre à cette simple distinction, avec Cyrano : « Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en somme. » C’est que nous avions en tête, au moment d’ouvrir l’ouvrage de l’écrivain britannique, la Brève Histoire de la photographie écrite en 2015 par Michel Poivert (éditions Hazan), professeur en histoire de l’art à la Sorbonne, qui a le mérite de s’interroger tout au long de ses chapitres sur le statut propre à la photographie, de l’écriture aux images, de Henri Bergson à Michel Foucault. Nous ne saurions trop conseiller la lecture de ces deux histoires, comme deux versants complémentaires.

Ian Haydn Smith ne rentre pas dans la discussion d’une définition ontologique de la photographie, comme le font Michel Poivert et nombre d’artistes. Ainsi le célèbre photographe franco-brésilien Sebastião Salgado confiait-il en 2016 à l’AFP : « La photo, c’est bientôt fini, parce que ce qu’on voit sur les portables, ce n’est pas de la photo. La photographie doit se matérialiser, il faut l’imprimer, la voir, la toucher, comme avant quand les parents faisaient les albums de photos de leurs enfants […] Nous sommes entrés dans un processus d’élimination de la photographie. Aujourd’hui, nous avons des images, pas de photos. »

Il y aurait beaucoup à écrire sur cette distinction entre photographie – l’écriture de ou par la lumière – et images. La recherche universitaire, à commencer par celle de Michel Poivert, ne donne pas nécessairement raison à cette dichotomie si tranchée.

Une histoire aux multiples facettes

Julia Margaret Cameron, Beatrice, 1866 - Épreuve à l’albumine argentique 33,8 x 26,4 cm - The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, États-Unis (DR)

Julia Margaret Cameron, Beatrice, 1866 – Épreuve à l’albumine argentique 33,8 x 26,4 cm – The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, États-Unis (DR)

La méthodologie adoptée par Ian Haydn Smith est davantage concrète que théorique ; elle s’appuie sur la citation d’Henri Cartier-Bresson, qui ouvre ce texte : « C’est une illusion que de croire que c’est l’appareil qui fait les photographies… Elles sont faites avec les yeux, le cœur et la tête. » Cet ouvrage propose de colliger un ensemble de courants et de procédés qui ont tenté d’allier le regard, la perception et la conception – sans chercher à déterminer ce qui est premier, encore moins l’essence artistique.

Quatre chapitres rythment son ouvrage : les genres, les œuvres, les thèmes et les techniques. À aucun moment il ne tranche entre le pictorialisme de Henry Peach Robinson et Clarence H. White, la photographie pure et l’abstraction d’Alfred Stieglitz et Paul Strand, l’esthétique diaphane d’une Julia Margaret Cameron, l’avant-garde portée par des artistes tels que Man Ray et László Moholy-Nagy ou encore « l’instant décisif » et intuitif si cher à Cartier-Bresson.

Ian Haydn Smith choisit tout, pourvu que chaque courant, chaque thématique, chaque photographe soient remis à leur juste place – que déterminent d’une part l’impact sur ses contemporains à un instant donné, d’autre part l’influence sur les générations suivantes. Avec finesse, il évite de consacrer un chapitre entier aux photographes comme tels, ce qui aurait conduit à des choix impossibles ; il préfère se consacrer sur une cinquantaine d’œuvres marquantes (et reproduites dans le livre), de Nicéphore Niepce à Edward Burtynsky, en passant par Nadar, Robert Capa, Robert Doisneau, Cindy Sherman, Andres Serrano et Jeff Wall, qui représentent autant de tendances et d’échelons artistiques.

Signe qu’il souhaite préserver une ambiguïté dans son approche : la présence du selfie – et non de l’autoportrait, mentionné plus tôt – en conclusion de son chapitre sur les genres et l’absence de selfie parmi les œuvres présentées dans le chapitre suivant.

Chaque chapitre propose une approche de cette Petite Histoire de la photo, comme autant de facettes d’une même histoire. On croise et on recroise, avec une familiarité toujours plus grande, des questionnements et des figures déjà évoqués dans les autres chapitres. On se réjouit de retrouver la photographe surréaliste Claude Cahun, que nous avons pu apprécier grandement ailleurs et l’on découvre avec émerveillement le travail de photographes tels que Gregory Crewdson, Nan Goldin et Hiroshi Sugimoto.

Frustration et compréhension

Si nous restons parfois frustré par l’absence de réflexion fondamentale sur la photographie, si nous regrettons également l’absence de pans entiers de cette histoire (rien par exemple sur la photographie mexicaine, dont Michel Frizot nous avait offert un bel échantillon chez Actes Sud) nous sommes néanmoins enchanté par ce voyage qui nous donne à voir cet art, à défaut de nous le faire entendre. Cet ouvrage est parfait pour qui veut avoir une première initiation à l’art de la photographie.

Au moment de refermer cette jolie chronologie imagée, nous percevons néanmoins intuitivement le travail qu’exigent l’écriture de la lumière – que certes une instantanéité peut reproduire, mais rarement, et avec beaucoup, beaucoup d’attente (et un soupçon de chance) – et la culture inhérente permettant de nourrir son imaginaire et d’aiguiser son regard, ainsi que le rappelait Jean-François Leroy, directeur du festival Visa pour l’image à Perpignan

Ou pour le dire avec Claire Allard, photographe belge que Pauline Angot a eu l’occasion de rencontrer pour Profession Spectacle : « Tu sais que tu es photographe quand tu as appris que faire une photo, ce n’est pas juste appuyer sur le déclencheur… »

Pierre GELIN-MONASTIER

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Ian Haydn Smith, Petite histoire de la Photo, trad. Jean-François Allain et Stéphanie Alkofer, Flammarion, 2018, 224 p., 19,90 €

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