Jim Morrison, le flou l’emporte

Jim Morrison, le flou l’emporte
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Beau, doué, surdoué, rebelle, introverti, maladivement timide, charismatique, chimérique, sans foi ni loi… Les années passent, mais pas lui. Lui ? Jim Morrison. Le lézard. Le vagabond de New York.

Les années passent, mais pas lui. Moins encore son énigmatique disparition, il y a un demi-siècle et des poussières… Déjà. Les témoins s’arrachent une explication, se la disputent comme autant de lambeaux d’une charogne, et certains prétendent que le chanteur a survécu. Il continue d’errer dans les rues de New York sous les traits d’un vagabond, cheveux longs, barbe hirsute, arrogant et goguenard. Comme Elvis, Jim se cache quelque part sur cette planète devenue bien petite. Pour les tenants de la mort par overdose, ou sur l’ordre de la CIA – Morrison, de la graine de Che, aurait pu devenir un dangereux révolutionnaire –, le leader des Doors a bien disparu. Jim n’aura jamais 80 ans en 2023.

L’Histoire a, en long, en large et en travers, raconté cet être, l’emprisonnant dans son mythe. Qu’est-ce que les biographes, commentateurs, journalistes, témoins, tout et son contraire nous ont-ils appris au sujet de ce… phénomène?

Né en 1943 non loin de Cap Canaveral, en Floride, James Douglas Morrison connaît un parcours fulgurant – à l’image des vaisseaux décollant de cette base, sans cesse en conflit avec son père, brillant amiral de la marine américaine et strict pratiquant. Un quotient intellectuel évalué à 149. On pourrait donner la même note à son tempérament explosif. Il dévore tous les numéros du magazine MAD et s’éprend du roman de Jack Kerouac, On the Road. Il vénère Elvis et Rimbaud, adepte d’absinthe, du dérèglement des sens, des sensations. Il dessine et peint : des gens en train de vomir, des pénis géants. Toutes les épithètes lui vont – autant de lieux communs : beau, doué, surdoué, rebelle, introverti, maladivement timide, charismatique, chimérique, sans foi ni loi. Quand il sort avec une fille, il pisse le long des trottoirs. Sur scène, il insulte son public, s’exhibe devant lui, se défonce. Il pue et s’en fout.

C’était peut-être un solitaire. Une sorte d’ermite. Comme le vagabond de New York. Peut-être même que Jim, auteur d’American Prayer, certainement la plus cérébrale des rock stars, la plus intellectuelle, sinon la plus artistique, était un Gainsbourg puissance mille, un écrivain contrarié, un Bosch de la musique, un mystique moderne – un être sans compromis, une bête de scène sur qui, selon le journaliste Patrick Coutin, Mick Jagger ne fut pas sans se calquer. Le lézard devint gros, ivrogne, drogué et déprimé.

Jusqu’à la mort, héroïque héroïne.

The End.

Quel conte.

Pourquoi Jim sombra-t-il dans l’alcool au meilleur des Doors – lui qui avait trouvé ce nom parfait pour le groupe ? Morrison l’icône, l’idole, le chef de file de sa génération, celui que l’on qualifiait d’archange… Certes, sa figure était angélique, et sa tête, celle d’un dieu grec. Dans son regard envoûtant on pouvait capter tout le mal du monde. Jim portait un étrange savoir, qu’il tenait selon lui de l’esprit d’un cadavre indien. Somptueuse carcasse, très vieille âme. Coincée dans une vibration. Universitaire hostile au formatage, ce fils de militaire était, au fond, un poète et un cinéaste en devenir, mais il devint chanteur… de charme. Autant dire la chute dans la hiérarchie des véritables artistes. Cela fait penser à Gainsbourg qui renonça à la peinture, sachant pertinemment qu’il ne serait jamais un grand peintre… Jim aurait-il été le Shelley des temps modernes ? Patrick Chauvel, un copain D.J. de la célèbre discothèque Rock’n Roll Circus, en doute, affirmant que les poèmes de la dernière heure de ce génie devenu obèse étaient « très mauvais ». Pourtant, à Paris, rue Beautreillis, Jim, l’Américain exilé, la rock star écœurée, souhaitait se consacrer à son art, c’est-à-dire à son écriture. Tout, pour sortir de sa condition de célébrité acclamée par des ignares – c’était du moins ce qu’il pensait, selon certains témoignages.

Autre époque – hot époque. Dans l’obscure Ville lumière, les boîtes de nuit de rock étaient fréquentées par de nombreux dealers, dont Jean de Breteuil, un comte qui en fournissait de la fort bonne, d’héroïne. Si bonne, que Jim en mourut à l’âge, fatidique semble-t-il, de vingt-sept ans. Trop pure, trop dure. Quand on sait que Jim ne se shootait pas lui-même, il n’y a qu’un pas pour conclure à l’assassinat. Hélas, il prisait particulièrement la compagnie de ce comte de la dope, car Jean de Breteuil sortait avec une somptueuse New-Yorkaise, Patricia, de laquelle le Lézard s’était follement épris. Pamela Courson, son épouse (le mariage, selon l’auteur Michel Embareck, aurait eu lieu en 1966), craignait cet engouement. Mais comment l’empêcher ? Pamela elle-même fricotait avec le dealer, sous les yeux de Jim. Ménage à quatre, ainsi que le précise le même Embareck dans son roman intitulé Jim Morrison et le diable boiteux(éditions de l’Archipel).

Il faut reprendre son souffle. Que s’est-il véritablement produit en cette nuit de juillet 1971 pour que Jim trépasse, et si jeune, alors qu’il avait encore tant d’aspirations en dépit de son accablement ? Le dernier mot sera-t-il jamais prononcé sur cette affaire, tout compte fait banale ? Ce soir-là, comme à son habitude, Jim se rend au Rock’n’Roll Circus, boit un coup, discute avec un copain, des gens. Il s’éclipse. Quelque temps plus tard, panique dans la boîte. Quelqu’un s’est effondré dans les toilettes. Le patron, Sam Bernett, dont il faut lire le bouquin Tout pour la musique(éditions de l’Archipel), a longtemps éludé les questions des enquêteurs. Plus de quarante ans après les événements, il reconnaît désormais avoir bien vu Jim sans vie – mort – dans le petit réduit, ce que Marianne Faithfull affirme également. Et il n’est pas le seul, car d’autres témoins abondent maintenant en ce sens. C’est par conséquent un cadavre que l’on sort du club de nuit, et que l’on transporte rue Beautreillis, pour le glisser dans une baignoire d’eau froide. Parfois des junkies se remettent ainsi d’une overdose. Mais pas Jim. Il a rejoint plus grand que lui. Point final.

Le mystère a perduré et perdurera, étant donné les explications assez vagues des témoins de ce drame. Bernett contourna la vérité pour protéger la boîte – il n’était pas question que ferme le Rock’n’Roll Circus, un des Q.G. de Johnny Hallyday et de Michel Polnareff. La réalisatrice Agnès Varda déclara que Jim était toujours vivant dans sa baignoire… Et surtout, Pamela Courson, compagne de Jim, aujourd’hui décédée, fit aux policiers une déposition ténébreuse et mensongère. Michel Embareck, passionné de cette histoire, suggère que Pamela aurait voulu brouiller les pistes car elle était la seule héritière – dorénavant menacée – du Lézard. Car il y avait Patricia… la flamme de Jim, cette femme qui pouvait l’aider à percer dans ce qu’il avait de plus cher : la poésie et le cinéma… Pamela dépouillée par Patricia ? Tout compte fait, cela est-il si intéressant ?… Rien ne ramène les êtres disparus trop tôt, dans une baignoire ou des chiottes. Elvis, on le sait… Mais sait-on que Jim voyait le King d’un mauvais œil, en particulier au moment de son grand retour en 1968 ? Aussi beau et charismatique que lui, il se déhanchait lui aussi en pantalon de cuir noir sans avoir à le baisser pour déclencher l’hystérie. Appropriation non pas culturelle, mais esthétique, déjà piquée à un autre puisque le premier à populariser cette matière luisante et coriace était Gene Vincent, idole des deux idoles… Le « diable boiteux » du roman de Michel Embareck, c’est Gene, évidemment, et l’auteur remet les pendules à l’heure en ce qui concerne cet émouvant précurseur du rock qui a changé le monde… Au demeurant, pour aller au fond des choses en ce qui concerne ce premier cuirassé, il faut lire les Chroniques de Pourpre de Damie Chad – un spécialiste.

Qu’en est-il de cette tombe au cimetière du Père-Lachaise, massivement visitée par les fans ? Ils la pillent, la vénèrent, se piquent dessus, s’effondrent le long du Lézard – un vrai trip de peyotl. Et pourtant, le flou plane également sous ce monument funéraire car… le corps n’y est plus. C’est du marbre que l’on honore, et non des os effrités et des chairs putréfiées par l’inexorable. Patrick Chauvel, le D.J. du Rock’n’Roll Circus, l’affirme en effet : la famille Morrison a rapatrié aux États-Unis le fils prodige devenu prodigue, les yeux pour toujours fermés.

Car ce père avec qui Jim s’entendait si peu répugnait à ce que son fils, son enfant – cet esprit – flotte pour l’éternité de l’autre côté d’un océan. La tombe est restée à Paris, mais pas la dépouille. À la fin de sa vie, monsieur George Stephen Morrison, star, lui, de la guerre du Vietnam, eut à propos de son fils ces mots qui disent toute la vie, tous les ratages, tous les regrets : « J’aurais tant voulu le connaître. »

Marie DESJARDINS

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