Le SNES, syndicat privé des entrepreneurs du spectacle, s’attaque au dur problème de la diffusion

Le SNES, syndicat privé des entrepreneurs du spectacle, s’attaque au dur problème de la diffusion
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Le Syndicat national des entrepreneurs du spectacle (SNES) regroupe 250 entreprises de spectacles dont 42 salles de spectacles, ce qui en fait aujourd’hui le second syndicat représentatif du spectacle vivant privé. 

Le SNES a récemment mis en avant quatre propositions pour améliorer la diffusion des spectacles

  1. Favoriser la diversité de l’offre culturelle en développement les collaborations « public/privé ».
  2. Créer une aide à la mobilité : prise en charge partielle par la région ou l’État des coûts liés à la diffusion des spectacles.
  3. Mettre en place un crédit d’impôt théâtre.
  4. Accompagner le spectacle vivant à l’ère numérique.

Nous revenons sur le SNES et ces différentes mesures avec Philippe Chapelon, délégué général du SNES. Entretien.

D’où vient le SNES ? Quelle fut l’intuition fondatrice et comment s’est-il développé depuis 1920 ?

Le SNES est l’un des plus anciens syndicats du spectacle vivant, la loi sur les syndicats datant de 1885. Il s’agit à l’origine d’entrepreneurs de tournée, les fameuses tournées Karsenty, qui avaient trouvé à l’époque intéressant de se structurer dans un syndicat pour défendre tout ce travail qui permettait l’irrigation des spectacles sur le territoire. Il faut se remémorer ce qu’était à l’époque le spectacle vivant : il y avait les théâtres privés parisiens, les opéras en région, les théâtres municipaux et puis c’était tout. Entre les deux, il y avait des gens qui amenaient les spectacles dans les villes, c’est-à-dire qu’ils faisaient venir des spectacles, surtout dans les stations thermales ou dans les stations de vacances d’été dans le sud, vers Menton… Donc c’est vrai que c’est un métier, quand on en parle aujourd’hui, qui existe toujours, mais qui ne se fait plus du tout de la même manière.

J’imagine bien qu’en 1920, il devait y avoir un besoin énorme, mais arrive la décentralisation théâtrale en 1947, avec Jeanne Laurent et André Malraux. On assiste à une explosion des compagnies et des théâtres en provinces, peu à peu labélisés, reconnus publiquement et subventionnés. Comment se situe le syndicat, qui s’occupe plutôt de structures privées ?

À l’origine, il n’y avait pas tellement d’interrogations par rapport à cela. Le ministère de la culture, quand il a développé et structuré ses activités pour la décentralisation, a dit aux structures : « Il faut que vous ayez un syndicat à vous ». Ainsi est né le Syndeac. Nous, nous étions essentiellement des tourneurs de spectacles, des entreprises de tournées. Ce n’est qu’il y a vingt à trente ans que nous nous sommes rendu compte qu’emmener simplement les spectacles en tournée n’était plus suffisant. Avec la transformation de la licence en 98, il y a eu trois métiers : l’exploitant de salles, le producteur-tourneur et le diffuseur de spectacles. C’est pourquoi les structures ont peu à peu pris conscience qu’il fallait quand même un producteur. Donc le métier de diffusion est resté, et le métier de spectacle en abonnement a disparu, même s’il revient maintenant. Nous avons mis en place une diffusion de spectacles par l’intermédiaire de contrats de cession de droits de représentations, ce fameux contrat qui permet d’amener, dans des théâtres subventionnés, des spectacles issus du privé. Depuis les années 80, avec les actions développées par Jack Lang, on a davantage parlé de musiques actuelles ; il y a tout un métier qui s’est développé avec la musique, qui est devenu totalement omniprésent. Nos producteurs tourneurs, dans le syndicat, se sont ainsi retrouvés dans tous les types d’activités : théâtre, musique, danse, cirque, comédie musicale, spectacles d’humour… Nous avons conservé, au niveau du syndicat, cette architecture, cette transversalité.

Couvrez-vous toujours les trois métiers : diffuseur, producteur et exploitant de salles ?

Nous avons de plus en plus de salles : nous avons 42 salles au syndicat et 250 adhérents. Nous avons gardé ce métier d’entrepreneurs de spectacles, d’abord parce que ce n’est pas possible aujourd’hui d’être simplement producteur et de ne pas être tourneur. Il y a forcément un moment où le spectacle a une vie, ce qui implique de le faire tourner. Comme l’investissement que l’on a fait en tant que producteur n’est souvent pas rentabilisé, la diffusion est le pilier d’une entreprise de spectacles. Si vous faites de la production et qu’elle n’est pas diffusée, l’entreprise ne peut plus continuer à exister.

Vous êtes arrivé au syndicat il y a un peu plus de vingt ans, en 1997. Quel constat avez-vous alors dressé et qu’avez-vous eu envie d’insuffler ?

Le SNES était alors un syndicat de tourneurs, avec une image un petit peu usée puisque le métier de producteurs prenait justement beaucoup d’importance. On considérait les tournées comme une queue de comète : elles avaient perdu leur importance, devenant presque un métier secondaire. La loi sur l’ordonnance de 45, sur l’adaptation avec les trois licences, était par ailleurs en cours de discussion. Je ne remercierai jamais assez le député PS Patrick Bloche, qui était à l’époque rapporteur de la loi !

Pourquoi ?

Je l’avais contacté pour lui dire : attention, le métier d’entrepreneur de tournée, c’est comme un métier de producteur, mais sur toute une série de représentations. On reprend en effet le spectacle en réengageant une équipe artistique. Nous ne sommes pas que des prestataires : nous prenons le risque d’une tournée. J’ai été entendu puisqu’on a mis dans la licence n°2 les producteurs et/ou les entrepreneurs de tournée ayant la responsabilité artistique du plateau. C’est grâce à Patrick Bloch que l’on a introduit cette distinction qui a permis à toute une profession de continuer à exister. La seule différence avec le producteur, c’est que nous ne créons pas le spectacle à son origine… sauf que, pour pouvoir aller tourner, il faut être coproducteur du spectacle. C’est pourquoi le métier avait besoin d’avoir, selon moi, cette vision de l’entrepreneur de spectacle. À partir de là, on a travaillé et étoffé notre travail auprès des entreprises ; on a mis en évidence que les métiers de producteur et de diffuseur étaient intimement liés. À partir de 2010, en constatant l’absence de visibilité pour les producteurs à Avignon, nous avons commencé à mener des actions à Avignon. Nous avions, la première année, une cinquantaine de spectacles ; nous en avons 130 cette année.

Aujourd’hui, après vingt ans à la tête de ce syndicat en tant que délégué général, quelles évolutions intéressantes avez-vous perçues ?

L’évolution va avec le travail que l’on a fait de structuration et de professionnalisation, notamment dans le cadre d’Avignon. Nous avons mis en place un programme que l’on envoie à 2 000 programmateurs. Quand j’ai commencé mes actions en 2010, on me disait : « oui, mais Avignon, il y a la moitié des gens qui ne payent pas les artistes, etc. » Ce n’est absolument pas vrai ! Nous connaissons beaucoup de professionnels qui travaillent à l’année avec les lieux, qui achètent leurs spectacles et respectent donc la législation. C’est pour cela que l’on a monté un label qui s’appelle « label spectacle SNES » : il regroupe les entreprises qui s’engagent à assurer les minima de la convention collective, à payer les droits d’auteurs… D’ailleurs, Pierre Beyfette participait, au départ, aux actions que l’on a menées par rapport à la professionnalisation à Avignon. Nous venons également de voir la concrétisation de ces efforts par la mise en place du décret sur les petites salles. Quand le FONPEPS [Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle, NDLR] a été mis en place, j’ai aussitôt demandé qu’il y ait des aides pour les petites salles, pour les spectacles dans ces petites salles, car lorsque vous montez un spectacle avec plus de trois personnes, vous ne vous en sortez pas. Si on veut redynamiser l’emploi dans le secteur, il faut aider les spectacles et les distributions nombreuses. C’est ce qu’a fait la ministre, qui nous a parfaitement entendus. Nous n’arrêtons pas de la louer, de la remercier pour cette mesure annoncée dans le Journal Officiel. Ce décret aide de manière exponentielle les spectacles aux distributions nombreuses : plus vous avez de gens, plus vous êtes aidés, donc ça incite à l’emploi.

Donc l’enjeu, c’est de continuer cette professionnalisation…

Exactement. On nous a demandé de structurer en 2006 : nous avons mis en place des conventions collectives ; nous avons regroupé des théâtres privés, les musiques actuelles, les cabarets, les cirques, les spectacles en tournée… Nous avons fait une grande convention du privé. Nous avons dorénavant des chiffres parce que, qui dit convention, dit observatoire : nous rendons tous les ans des comptes sur l’emploi dans le secteur. Nous nous sommes rendu compte que le secteur privé du spectacle regroupe 110 000 salariés, soit le même nombre que le secteur public ; il y a plus de 10 000 entreprises dans le secteur privé, pour 8 700 dans le secteur public. Ce sont donc deux grands champs d’emploi de spectacle. C’est très bien que des spectacles et des théâtres soient subventionnés, mais que fait-on pour tous ces artistes et tous ces techniciens qui veulent travailler dans le spectacle et qui rencontrent toutes les difficultés d’entreprendre que l’on connaît ? C’est pourquoi les aides annoncées par la ministre sont véritablement les bienvenues.

Qu’est-ce que le SNES propose concrètement pour développer l’emploi ?

La première proposition concerne la nécessaire complémentarité public/privé : nous désirons travailler le plus possible en accord avec le secteur public, afin qu’ils accueillent nos spectacles. L’inverse est vrai : nous souhaitons que le secteur public aille davantage dans les structures du secteur privé. Deuxième mesure : l’aide à la mobilité. Il s’agit d’une aide à l’emploi qui n’est ni publique, ni privée, et que le ministère met en place pour aider la diffusion des spectacles. Aujourd’hui, on demande à irriguer les territoires au niveau culturel : on évoque un désert culturel, même si la ministre préfère parler de fracture. C’est pourquoi il me semble impératif d’aider les spectacles à être diffusés, afin qu’ils aillent partout.

Vous avez fait presque toute votre carrière dans le public et vous vous retrouvez à la tête d’un syndicat privé. Vous savez donc que toute reconnaissance de service public implique un cahier des charges, des impératifs d’éducation artistique et culturelle, etc. Autant d’obligations auxquelles ne souscrit pas nécessairement le secteur privé. Cette différence a été rappelée après l’intervention de Bernard Murat, président du syndicat national du théâtre privé : il avait demandé que le secteur public s’ouvre davantage aux spectacles issus du privé. La levée de boucliers avait été immédiate, avec des interventions de Carole Thibaut, de Marie-José Malis… Entendez-vous leurs arguments et comment y répondez-vous ?

Oui, tout à fait, je les entends. Effectivement, nous ne sommes pas placés dans la même situation, puisque notre situation est celle d’initiatives privées. Le secteur public est missionné pour faire fonctionner un lieu : leur liberté s’inscrit dans la limite de ce cahier des charges. Nous ne sommes donc évidemment pas en train de dire qu’il faut tout modifier. Nous nous contentons de demander, dans la mesure du possible, s’il y a des structures publiques qui peuvent davantage accueillir nos spectacles, et voir de quelle manière, à une époque où tous, à commencer par l’État, recherchent de l’argent, s’il y a des lieux qui ne sont pas tout le temps occupés et qui pourraient accueillir des spectacles dans lesquels le producteur prend son risque. Ce n’est évidemment pas fait pour tous les lieux et nous ne demandons pas de quotas…

D’autant qu’il y a 20 % des spectacles dans les lieux publics qui viennent du secteur privé…

Voilà… Donc il s’agit simplement d’accentuer l’existant. Le secteur privé a pris énormément d’importance. Pourquoi ? Parce qu’avec les actions du ministère de la culture pendant 30 ans, les jeunes ont aujourd’hui envie de produire leur spectacle : avec le crowdfunding, les financements participatifs, ils montent sans attendre de recevoir une subvention. Il y a vingt ans, quand on avait une compagnie, on allait voir la municipalité avant toute chose et on demandait des subventions pour commencer à travailler. Ce n’est plus possible aujourd’hui : il y a beaucoup trop de structures ! Il faut donc mettre en place des aides à l’activité, à la mobilité, à la diffusion. C’est un problème reconnu de tout le monde : les spectacles ne sont pas assez diffusés en France. Rien d’idéologique là-dedans, c’est une réalité qui concerne aussi bien le secteur privé que celui public.

Dans votre plaquette, vous mentionnez une autre mesure : le crédit d’impôt pour le théâtre.

Ça fait plusieurs années que nous demandons la mise en place de ce crédit d’impôt théâtre. Le crédit d’impôt existe pour la musique et les spectacles d’humour… ce n’est pas très loin du théâtre ! Ce sont souvent les mêmes producteurs. Quand on voit que cela n’existe pas pour le théâtre, on se dit quand même qu’il y a un truc qui ne fonctionne pas. Il faut le mettre en place le plus vite possible pour rétablir cet équilibre, afin que les producteurs disposent également d’un soutien de ce type. Nous avons travaillé avec des sénateurs, qui ont voté pour ce crédit d’impôt, mais le ministère a demandé une évaluation préalable. Nous comprenons et attendons que Bercy soit convaincu de la nécessité de ce crédit d’impôts.

Et concernant votre quatrième proposition, liée à l’accompagnement du spectacle vivant à l’ère du numérique ?

Cela consiste notamment en une aide aux captations. Nous travaillons actuellement avec le CNC pour fluidifier le travail. Plus besoin de passer par une boîte de production audiovisuelle ! Il faut simplement que, dans ses statuts, le producteur de spectacle inscrive la possibilité d’une activité audiovisuelle. Nous pensons également à la mise en place d’une plate-forme numérique et centralisée, par l’État, sur laquelle serait visible toute la vitalité du spectacle vivant, où tous les spectacles – privés et publics – seraient recensés : je fais un spectacle dans tel lieu, je le mets avec un lien, etc. Un peu comme l’INA a fait ce travail incroyable de patrimoine, parce que l’on se rend compte que des spectacles ont complètement disparu et c’est dommage. Donc voilà toutes les mesures que nous mettons en avant, ce que l’on demande pour les temps à venir et pour aider la production du secteur privé, tant pour le théâtre que pour la musique.

Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER



 

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