Lire ou ne pas lire

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Faut-il lire le texte avant d’aller voir le spectacle ou après l’avoir vu ? Faut-il même tout simplement le lire ? À en croire certains collègues critiques, la question – hélas – se pose…

Vagabondage théâtral

C’est une question vieille comme la lune : faut-il lire le texte de la pièce (quand il y en a un, sachant qu’aujourd’hui il n’y a plus de texte, ou alors trafiqué, concassé et (ré)inventé sur le plateau : vous savez les fameuses écritures de plateau…), bref faut-il lire le texte avant d’aller voir le spectacle ou après l’avoir vu ? Pendant, c’est plus difficile, même si j’ai vu un vieux maniaque, livre sur les genoux suivre les répliques une à une et s’énerver lorsqu’un mot était remplacé par un autre, et finir par me prendre à témoin de toutes les « trahisons » commises par les interprètes. Le cas, heureusement, est rarissime.

Autre réponse : ne jamais lire, ni avant, ni après, rester dans la plus béate des ignorances. Et j’ai la vague prémonition, à lire les critiques, que c’est ce qui se passe dans la plupart des cas. Entendu ainsi sur France Culture la bien nommée, une de ces critiques dramatiques (je suis désolé, c’était une femme), affirmer il y un an qu’il était temps de passer à autre chose que de monter des textes de Brecht, ce qui, dans son cas, n’aurait sans doute pas été difficile, vu qu’elle n’avait probablement jamais feuilleté une œuvre de l’auteur allemand. Mais bon, je m’égare…

Reprenons la discussion. Lire avant, c’est bien beau, mais cela risque de vous envoyer sur de fausses pistes, en tout cas, au vu du spectacle, sur des pistes différentes de celles que vous avez semblé déceler dans le texte. Cela dit, c’est bien utile de pouvoir ainsi vérifier ce qu’a traficoté le metteur en scène, son dramaturge et leurs autres complices. Il y a aussi un vrai plaisir à retrouver les mots, les répliques que vous avez lus : ce sont alors des sortes de plaisantes retrouvailles. Il y a bien sûr la théorie inverse, celle selon laquelle lire avant vous ôte tout plaisir de la découverte, mais l’argument peut se retourner complètement, notamment en ce qui concerne le répertoire dit classique que l’on est censé connaître par cœur.

Et d’ailleurs le plaisir ne réside-t-il pas dans l’appréhension des variations ? Je me souviens ainsi avoir vu, dans un très court laps de temps, quatre Mouette en vol serré. Je n’ai que le souvenir d’une sorte de saturation, alors pour ce qui est d’avoir lu la pièce avant ou après, encore que les variations provinssent aussi dans ce cas de figure de la variété des traducteurs…

J’avoue, moi qui prône une certaine innocence en prenant place dans nos fauteuils ou sur nos bancs de théâtre, n’avoir pas d’avis très tranché sur la question. J’ai quand même bien eu raison de me plonger dans les 1 500 pages du 2666 de Roberto Bolano avant d’aller m’enfermer pendant dix heures pour voir ce qu’en avait tiré Julien Gosselin. À voir mon état de fureur à la sortie du spectacle, j’aurais dû m’abstenir, ce qui m’aurait évité de noter pointilleusement tous les contresens de la mise en scène. Cela dit, si je ne l’avais pas lu avant, je ne pense pas que je me serais plongé dans le roman après, sauf à tenter d’éclaircir quelques solides incompréhensions. Enfin, avant ou après, j’aurais quand même lu un chef-d’œuvre et vu son massacre. Mais, ce sont les risques du métier.

Jean-Pierre HAN

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Critique dramatique et rédacteur en chef des Lettres Françaises, fondateur et rédacteur en chef de la revue Frictions, Jean-Pierre Han est une des plumes incontestées du monde théâtral, privilégiant une approche essentiellement politique. “Vagabondage théâtral” est sa chronique mensuelle pour les lecteurs de Profession Spectacle.


 

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