Marché de la Poésie : chantiers à Paris, Montreuil et… Bruxelles !

Marché de la Poésie : chantiers à Paris, Montreuil et… Bruxelles !
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Depuis trente-sept années, la France accueille un événement unique au monde, le Marché de la Poésie. Avec quelque cent vingt emplacements et cinq cents éditeurs présents, revues comprises, la place Saint-Sulpice devient chaque année, pour cinq jours, le cœur battant du monde francophone de la poésie : signatures d’auteurs, tables rondes, lectures, remises de prix, concerts, événements périphériques…

La prochaine édition, qui mettra les Pays-Bas à l’honneur, devrait avoir lieu entre le mercredi 5 et le dimanche 9 juin prochains, sous réserve de validation du nouveau prestataire (en cours de recrutement).

Parce que les frontières sont de plus en plus minces entre la poésie et le spectacle vivant, ainsi que l’annoncent les prochains États Généraux permanents de la poésie sur le thème de la “Métamorphose du poème”, parce que des projets sont aujourd’hui en développement à Montreuil (93) et à Bruxelles, Profession Spectacle et le Marché de la Poésie ont conclu un partenariat destiné à accélérer la connaissance mutuelle de ces deux sphères artistiques qui s’ignorent encore trop souvent et à créer ainsi des points entre les artistes.

Rencontre avec Yves Boudier et Vincent Gimeno-Pons, respectivement président et délégué général du Marché de la Poésie.

Du cœur sulpicien à la périphérie francilienne

Vincent Gimeno-Pons le martèle d’emblée : « Le Marché de la Poésie n’est pas un festival. » L’enjeu est très clair : l’événement vise d’abord à soutenir les éditeurs et poètes, à leur donner un espace physique d’expression, de rencontre et de réflexion, ainsi qu’un comptoir éphémère de vente. Éphémère ? À ce jour, tout du moins, car de nouveaux projets, cybernétiques et physiques, sont en cours d’élaboration.

Il y a treize ans déjà, le constat que la place Saint-Sulpice ne pouvait suffire avait été fait, par la mise en place d’une périphérie qui a consisté en l’organisation de près d’une cinquantaine d’événements, en mai et juin, à Paris et en Île-de-France.

« La périphérie est un élément fondamental, le deuxième créé après le Marché de la Poésie qui reste notre cœur, explique le délégué général du Marché de la Poésie. Cette périphérie n’existe que parce qu’il y a un centre consolidé quoique toujours fragile : le Marché de la Poésie. Toutes nos initiatives n’ont qu’un seul sens, à savoir la défense du travail effectué jour après jour par les éditeurs. »

La Guillotine à Montreuil : des matinées d’éditeurs…

L’un des premiers lieux à recevoir des événements périphériques du Marché de la Poésie est La Guillotine à Montreuil, tiers-lieu culturel visionnaire qui accueille déjà, sous la houlette de son propriétaire Philippe Burin des Roziers – « un fanatique de poésie » nous confirme Vincent Gimeno-Pons –, un bistrot dans une ancienne fabrique de piano, ainsi que des ateliers théâtre, des soirées musicales… signe que les passerelles entre la poésie et les arts dits vivants sont déjà bien établis.

« Les matinées d’éditeurs, avec lectures et échanges, fonctionnaient bien, nous détaille Yves Boudier. Le public répondait présent, les éditeurs étaient ravis. Nous nous sommes dit que le modèle était viable et nous sommes interrogés sur la manière d’amplifier et de fédérer cette initiative. »

L’urgence est d’autant plus palpable que nombre d’éditeurs souffrent d’un grave souci de diffusion, que vient renforcer la récente annonce du Centre de Diffusion de l’Édition (CDE), appartenant au groupe Gallimard, d’une restructuration au cours de l’année 2019, entraînant le passage de deux équipes de représentants à une seule, et par conséquent la fin de la diffusion de près de 55 % des éditeurs jusqu’à présent pris en charge. « Il faudrait que le ministère de la culture comprenne que la diffusion est le nerf de la guerre, qu’elle mériterait d’être bien subventionnée, insiste Vincent Gimeno-Pons, au même titre que l’édition elle-même. »

… à un petit Marché de la Poésie à l’année

Autant dire que la proposition de Philippe Burin des Roziers de mettre à disposition le lieu de la Guillotine pour des événements poétiques intervient à point nommé. « Cela nous permet de rebondir sur un travail initial mené avec le CNL, du temps de Jean-François Colosimo [président du CNL entre 2010 et 2013, NDLR], et resté malheureusement en latence », poursuit le délégué général. Ce travail consistait en la mise en place d’un portail pour l’édition de poésie, qui avait alors mobilisé une centaine d’éditeurs.

Vincent Monadé, successeur de J.-F. Colosimo, n’avait pas vu dans ce portail une urgence, non qu’il soit indifférent à la poésie, puisqu’il a aussitôt réagi à la baisse de subvention accordée par la région Île-de-France au Marché en rééquilibrant le budget, mais parce qu’il « attend que le lieu de la Guillotine soit installé, afin de relancer ensemble ce grand portail », précise Yves Boudier. Le président du Marché de la Poésie parle d’une fédération des acteurs et des moyens : « Nous sommes passés de l’idée d’une plate-forme internet d’information et de vente à un lieu physique, qui permet de donner une dimension annuelle au Marché de la Poésie. L’enjeu est de montrer que les éditeurs de poésie vivent autrement que cinq jours par an sur la place Saint-Sulpice. »

Une coopérative d’éditeurs de poésie (SCIC), regroupant déjà, selon les dirigeants du Marché de la Poésie, une trentaine de maisons, est en cours de création ; elle devrait voir le jour à l’orée du prochain printemps : La Guillotine « pourrait devenir une vraie fourmilière pour la poésie, s’enthousiasme Yves Boudier, avec une librairie et un comptoir de vente pour certains éditeurs qui n’ont pas de diffuseur et qui ont besoin d’un pied à terre à Paris. »

Des soirées menées par les éditeurs membres de la SCIC auront lieu chaque semaine, du dimanche au mercredi, selon un calendrier géré par le Marché de la Poésie, « le temps que cela entre dans un fonctionnement rationnel ».

Métamorphoses

Il y a deux ans, Yves Boudier et Vincent Gimeno-Pons lançaient les États Généraux de la poésie, sur le thème “Visibilité du poème”. Ils renouvellent l’expérience l’année suivante, avec cinq tables rondes, autour du “devenir du poème”. Les poètes et le public répondant massivement présents, ils décident de mettre en place les États Généraux permanents de la poésie.

« Nous n’avons fait que mettre un nom sur quelque chose de préexistant, à savoir une réflexion de fond sur la poésie lors du Marché, explique son délégué général. Il était important de nommer une réalité existant depuis déjà bien longtemps à l’intérieur du Marché de la Poésie. » Sans parler que cela focalise l’attention, notamment de la presse, ajoute malicieusement son président.

Le thème retenu pour 2019 est celui de la “Métamorphose du poème”, autour des « nouvelles architectures poétiques, précise Yves Boudier, c’est-à-dire sur les manières dont le poème se déplace ou tangente d’autres pratiques d’écriture propres à la danse, au théâtre… » Les frontières sont effectivement minces, ainsi que le montrent des artistes telles que Leslie Kaplan ou Noëlle Renaude, ainsi que le confessent de nombreux poètes et dramaturges eux-mêmes, comme Nicolas Rozier, Samuel Gallet, David Léon ou encore Denis Lachaud, ainsi que l’a constaté Profession Spectacle à de multiples reprises. Notre journal participera d’ailleurs activement à l’une ou l’autre table ronde sur le sujet, en juin prochain.

Vers un Marché européen de la Poésie à Bruxelles

Mais juin ne sera pas, cette année, le point final de la saison. Durant la deuxième quinzaine de septembre, Bruxelles accueillera également, aux belles halles Saint-Géry, un premier Marché de la Poésie. « Les Belges nous ont sollicités à la suite des attentats qui ont eu lieu à Bruxelles, se souvient Yves Boudier. Ils se sont dit qu’il fallait reconquérir les quartiers de la ville, que la culture était un vecteur important, que la poésie constituait un vecteur essentiel. »

Le Marché de la Poésie est requis non seulement pour ses compétences techniques, mais aussi – surtout – pour le crédit acquis au fil des années. À la demande du responsable de la Foire du livre de Bruxelles, les responsables du Marché français ont réfléchi sur un événement unique, qui ne se contente pas de reproduire tel quel le modèle parisien, mais contienne une dimension propre, particulière. « Nous avons insisté pour que ce Marché de la poésie soit intrinsèquement européen, expose Vincent Gimeno-Pons, c’est-à-dire qu’il intègre dès son commencement des éditeurs dans les trois langues officielles en Belgique : le néerlandais, le français et l’allemand. Cette dimension européenne sera évidemment à construire petit à petit, afin d’avoir dans quelques années des éditeurs dans de nombreuses langues différentes. »

Si Paris demeure le cœur battant, le corps poétique n’a ainsi pas fini de s’étendre, pour que se déploie l’infini du ciel, ainsi que l’écrivain et philosophe suisse Henri-Frédéric Amiel l’écrivait : « La pensée sans poésie c’est comme un paysage sans ciel : on y étouffe. »

Pierre GELIN-MONASTIER et Frédéric DIEU



Photographie de Une – Vincent Gimeno-Pons et Yves Boudier (crédits : Pierre Gelin-Monastier)



 

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