Notre-Dame : ruine et cendre

Notre-Dame : ruine et cendre
Publicité

Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique.

« Restez chez vous »
.

Quand j’étais petit, huit ou neuf ans, je passais souvent devant la cathédrale de Reims. Ce que je ne parvenais pas à comprendre, c’était qu’on ne la finisse pas. On avait donc construit tout ça, sur plusieurs siècles, et on ne finirait pas. C’était incompréhensible. Parfois, souvent, il y avait des échafaudages et je disais à ma mère : Ah, tu vois, ils vont la finir. Elle m’assurait que non, qu’ils la nettoyaient seulement. Elle avait raison. Tout petit déjà, je ne comprenais rien. Il faut dire qu’alors je ne savais rien de l’incendie de la cathédrale par les bombes boches en 1914, rien de bien précis quant à la Révolution française et rien du tout de la séparation de l’Église et de l’État. Quarante ans plus tard, je ne sais pas grand-chose de plus sur toutes ces choses, mes connaissances en architecture sont aussi nulles que mes lumières sur les départs de feu, la séparation des pouvoirs me paraît toujours sortie tout droit d’un de ces mauvais romans de science-fiction qu’adolescent j’affectionnais, les échafaudages sont toujours en orbite autour de la cathédrale et comme je suis demeuré, ou enfant, et buté, je me demande toujours si on n’aurait pas pu utiliser l’argent pour nettoyer et réparer à la finir, cette cathédrale. Mais non. Je vois bien que non et que, décidément, je ne comprendrai jamais rien à rien.

Je n’ai pas de télévision. Mais je la regarde en direct sur internet, pour les grandes occasions (ce qui exclut, par exemple, les élections). Ces dernières années, donc, plutôt des attentats terroristes islamistes. Je suis un charognard ordinaire. Le lundi 15 avril 2019, assez tard dans la soirée, j’ai regardé Notre-Dame de Paris brûler sur BFM. C’est dire la taille de l’événement. C’était, cette fois, vraiment spectaculaire. Et par bonheur, je ne sais comment, on savait déjà, presque depuis le début de l’incendie, qu’il était accidentel. Je ne dirai plus jamais que nos politiciens sont incapables de décision. Ou qu’ils ne sont pas réactifs. Je ne dirai plus rien. Des gens capables de savoir, avant tout enquête devant l’établir, à quel type de cause on a affaire, méritent le respect. Je me prosterne. Surtout je les remercie. Cette bêtise immense, de prétendre savoir avant toute enquête, sans avancer même un fait ou un aveu de quiconque – le pauvre – aurait commis tel monstrueux impair, m’a mis dans une colère sourde, froide, solide et longue, qui sert de barrage à ma tristesse et la préserve, la laisse intacte, en quelque sorte pour plus tard réservée. Je n’ai, je le précise, aucune opinion sur l’origine de cet incendie ; mais je sais que j’aurai du mal à donner foi aux conclusions de l’enquête, quelles qu’elles soient. Notre-Dame a brûlé, c’est tout ce que je sais. Je ne sais combien de litres de tristesses accumulées, stagnantes et croupies, me ravageront diluviennement la gueule plus tard, mais voilà, plus tard, pour l’instant, j’ai colère. Et j’aime bien. C’est vivant.

Je ne vais rien dire sur les hypothèses de sa reconstruction, sur les tombereaux d’âneries déversés du sommet d’un État où je ne sais quel quarteron de surhommes du dimanche-travaillé semble commander tous les pouvoirs, seul. Je me demande si c’est bien raisonnable de reconstruire Notre-Dame, si nous capables de ne pas faire n’importe quoi, qu’on décide ou non qu’elle doive prendre part aux Jeux Olympiques – puisque l’important est là, et qu’il faudra sans doute nous qataro-disneylandiser tout ça à grand berzingue pour l’ouverture de la foire aux sportifs drainant dans leur sillage touristes et devises… Voilà, je ne suis plus enfant, je pense plutôt qu’il faudrait n’y plus toucher. Entretenir les ruines au mieux, ne rien défigurer davantage. Qu’aucun touriste, de Paris ou de Dieu, n’y entre plus jamais. Je suis encore enfant, les chances qu’on aille dans le sens que je dis sont exactement nulles.

Ruine et cendre est le cœur de Paris. Notre-Dame à présent ressemble à ce pays.

Qui veut savoir comment va ce pays peut regarder son cœur. Quelques rafales de vent pourraient le faire tomber. Et moi, regarder ça sur BFM. L’Esprit souffle où il veut.

Vive le vent…

Pascal ADAM

 Lire les dernières chroniques bimensuelles de Pascal Adam :

Se promener. Se battre. Disparaître. (13/04)
Rien à foutre (30/03)
“Le Critique”, de Juan Mayorga : affrontement impitoyable entre un auteur et son critique (16/03)
AUCUN GÉNIE ! VIVE LA MERDE ! DEMANDEZ LE PROGRAMME… (02/03)

.



 

Publicité

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *