Rien à foutre

Rien à foutre
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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique.

« Restez chez vous »
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Ce doit être l’effet sur mon organisme de l’arrivée du printemps, ou, au contraire, je ne sais quelle saloperie chimique diffusée dans l’air, mais rien ne semble pouvoir entamer mon moral, qui sifflote un vieil air de Brassens sur lequel je ne parviens pas à remettre les paroles, ce matin.

*

Par exemple, on me signale que des fâcheux ont empêché une représentation sauce théâtre antique des Suppliantes d’Eschyle, à « Sorbonne Université ». Eh bien, comment vous dire ?

Ça ne m’étonne pas. Et je m’en bats les choses.

Mais, te rends-tu compte ? cet empêchement neuneu s’est fait au nom de l’antiracisme, des acteurs s’en allant porter des masques noirs ! Tu te rends compte ! Des acteurs allaient porter des masques noirs ! Et hop l’antiracisme institutionnel leur tombe dessus, à coups de blackface (en français dans le texte), et sans vouloir juger sur pièce (c’est le cas de le dire), au nom de sa toute-puissance, empêche la représentation !

Eh bien, tout ça ne m’étonne pas, et je m’en bats les choses ! Ils n’avaient qu’à faire du rap citoyen, ces acteurs, au lieu de nous gonfler avec cette vieillerie de Shakespeare Ier (puisque le vieil Hugo dit que W. Shakespeare, c’est Eschyle II).

Voilà. Démerdez-vous.

D’ailleurs, dans un machin au nom aussi stupide et moche que « Sorbonne Université », il n’est pas étonnant qu’il arrive n’importe quoi ! Mon sujet ne m’intéressant guère, je me permets ici une digression : « Sorbonne Université », c’est moche et stupide comme un salon du livre qui s’appellerait « Livre Paris », quoi qu’encore un peu moins débile que le mot « OUI » qui a remplacé le mot « voyages » chez les branlotins arnaqueurs de la « Société Nationale des Chemins de Fer », dont je m’étonne qu’elle n’ait pas été renommée « Train France Retard Cher ».

Et puis, pour en finir tout de même avec cette banale affaire de parisienne censure sauvage : le scénario est cousu de fil blanc (on peut encore dire « fil blanc » ? Un doute m’étreint.) : les gars qu’on a empêché de jouer Les Suppliantes, qui n’ont déjà pas eu l’idée pourtant géniale, au moment de l’agression, de répondre par la violence à cette volonté violente de les censurer en mettant dehors physiquement ces blaireaux, et maintenant, au lieu d’envoyer se faire foutre leurs empêcheurs de théâtrer en rond et à l’ancienne, voici qu’ils vont se justifier et s’expliquer à l’infini et délayer des preuves que non, non, au grand jamais, ils ne sont coupables de ce dont on les accuse ! – prouvant seulement par-là que l’accusation porte, malgré sa connerie, ou du fait même de cette connerie, et la justifiant. Au fond, ils sont peut-être même un peu complices. Si ça se trouve, c’est seulement injuste, de leur point de vue, que ce soit sur eux qu’elle tombe, cette accusation de racisme ! Elle serait tombée sur Bidule ou Machin, honnêtement, ils n’auraient sans doute rien trouvé à y redire ; charge évidemment à Bidule ou Machin de prouver qu’ils ne sont pas ce dont on les accuse, comme ça, au pif !

Voilà. Eh bien, moi aussi, je m’en fous. D’ailleurs, nous sommes partis pour avoir des affaires de ce type-là toutes les semaines ou tous les trois jours ! Parce que nous sommes complices. Et que nous pensons qu’il est des accusations débiles dont nous devons nous justifier.

Eh bien, phœuque !

*

Voilà, je sifflote toujours mon vieil air de Brassens sur lequel – misère, il ne faudrait pas vieillir – je ne remets toujours pas les paroles.

*

Je voulais initialement faire une chronique assez brève.

L’idée m’était d’abord venue d’écrire une version moderne, donc idiote du conte des Trois petits cochons.

L’idée était fort simple, le cochon dans la maison de pierre a tellement peur du loup, qu’il se réfugie chez le cochon dans la maison de branches, auquel il communique sa peur, et les voilà tous deux qui s’enfuient chez le cochon dans la maison de paille ; là-dessus arrive le loup, qui dézingue la maison et bouffe les trois petits cochons. Bon, je pensais aussi, puisque tout le monde ne mange pas de cochon, changer un peu d’animal et appeler ça Les trois petits moutons. Mieux, comme tout le monde ne mange pas de viande, et qu’il faut bien, à la fin, s’identifier au loup, Les trois petits légumes. La fin, toutefois, aurait comporté un avis au loup : « Attention, ami loup, ne mange pas trop de légumes : on devient ce qu’on mange. »

Mais j’ai la flemme de faire ça bien et de développer. C’est quand même un peu chiant d’écrire pour les gamins.

*

Cette idée-là de conte m’était venue hier, dans un TPEMR (Train Pas Express Mais Régional) de la TFRC (toujours Train France Retard Cher).

Finalement, je lui ai préféré une histoire encore plus courte, sous la forme d’une saynète de théâtre engagé (STE), racontant comment les petits cochons, devenus énarques ou normaliens comme tout le monde, après lecture du conte original, le vrai, tiraient les leçons du passé et entendaient se prémunir désormais du fascisme, c’est-à-dire du loup.

*

La scène se passe à Paris, c’est-à-dire nulle part.

COCHON 1. — Il nous faut une putain de maison en putain de briques !

COCHON 2. — Tout à fait. Avec une cheminée !

COCHON 3. — Mais non, pas de cheminée, le loup passe toujours par la cheminée !

COCHON 1. — Merde, c’est vrai, le putain de loup passe toujours par la putain de cheminée de merde !

COCHON 2. — Mais si, il faut une cheminée pour se chauffer et pour se faire cuire des trucs à bouffer !

COCHON 1 — Putain, j’ai faim. Comment qu’il a raison quand même, c’t enculé d’ Cochon 2.

COCHON 3. — Mais non, pas de cheminée, le loup passe toujours par la cheminée !

COCHON 1. — Ah ouais merde, c’est vrai.

COCHON 2. — Ecoutez, les gars. Ce qu’il faut, c’est qu’il y ait toujours dans la cheminée du feu avec dessus une marmite bouillante ouverte pour que le loup qui passe toujours par la cheminée tombe dedans !

COCHONS 1 & 3. — Trop génial, keum.

COCHON 2. — Et c’est tellement génial, ce piège, que le loup c’est sûr qu’il va passer par la cheminée et tomber dans la marmite bouillante ouverte, c’est tellement génial que vous savez quoi en plus ?

COCHONS 1 & 3. — Ben non…

COCHON 2. — Eh bien, comme que le loup c’est sûr qu’il va passer par la cheminée et tomber dans la marmite bouillante ouverte, eh bien, il n’y a plus besoin de faire de porte !

COCHON 1. — Wow, t’es un enculé tellement que t’es génial !

COCHON 3. – Pas mieux. Déjà que les portes, c’est réactionnaire, ça fait un peu frontière tu vois, truc de vieux.

COCHON 2, hurlant son slogan. — POUR UNE MAISON HYPER-SÉCURISÉE SANS PORTE !

COCHONS 1 & 3, reprenant. — POUR UNE MAISON HYPER-SÉCURISÉE SANS PORTE !

TOUS. — POUR UNE MAISON HYPER-SÉCURISÉE SANS PORTE !

FIN

*

Dormez tranquille, citoyens ! Nos stratèges veillent sur vous !

*

Je viens de retrouver le titre de la chanson de Brassens.

Le vent.

Plus connue comme Sur le pont des Arts.

Si par hasard,

Sur l’ pont des Arts…

Il y est question des rapports du vent et des jean-foutre et gens probes…

Je cite pour finir ce très joli couplet du grand Georges (en me disant, avec ma coutumière mégalomanie que cette chronique est un peu comme le vent en question) :

Bien sûr, si l’on ne se fonde

Que sur ce qui saute aux yeux

Le vent semble une brute raffolant de nuire à tout l’monde

Mais une attention profonde

Prouve que c’est chez les fâcheux

Qu’il préfère choisir les victimes de ses petits jeux

Pascal ADAM

 

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