Vivement la mort !

Vivement la mort !
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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique.

« Restez chez vous »
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Houellebecq

Les critiques littéraires m’ennuient. Ils sont, hélas, dans le cas de Houellebecq, difficiles à éviter. Je n’ai pas lu une critique en entier, je n’ai voulu écouter jusqu’au bout aucune émission – sauf, une fois, au café, un ami qui m’en parlait (je n’ai pas eu le choix). Je renonce à me faire une idée de ce Sérotonine, à travers ces critiques diversement convenues. Je le lirai plus tard.

La principale différence entre les critiques tient sans doute à une question de pronom personnel : « Ah, tiens, il en est là », disent les uns ; « Ah, tiens, on en est là », disent les autres. Et tout le reste est nuance de moues.

Hagakuré

« Je découvris que la Voie du samouraï, c’est la mort » est sans doute la plus célèbre phrase du Hagakuré, écrit au XVIIIe siècle par Jocho Yamamoto. C’est un livre que j’ai d’abord connu par Le Japon moderne et l’éthique samouraï de Yukio Mishima.

« Tenu de choisir entre la vie et la mort, choisis sans hésiter la mort. Rien n’est plus simple. Rassemble ton courage et agis. […] Si l’on veut devenir un parfait samouraï, il est nécessaire de se préparer à la mort matin et soir et jour après jour. »

Hagakuré signifie « caché dans la feuillée ».

Vintage

J’ai commandé des rubans de machine à écrire. — Vas-y, ringard de geek, essaie de hacker une machine à écrire.

Je les ai achetés sur Amazon, of course. En ville, on n’en trouve plus.

Génie du premier vers

Le soir, pour me laver des saletés vues, lues, faites de la journée, je lis quelques vers de Baudelaire. Le premier vers parfois suffit. Je piquète au hasard dans les Tableaux parisiens des Fleurs du mal :

« Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux ! » (Les aveugles)
« La rue assourdissante autour de moi hurlait. » (À une passante)
« Dans les plis sinueux des vieilles capitales, » (Les petites vieilles)
« Voici le soir charmant, ami du criminel ; » (Le crépuscule du soir)
« Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles, » (Le jeu)

Je dirais trivialement : tout de suite, on y est.

Conte urbain

Il faudrait à la fois se fâcher, descendre dans la rue, se battre, qui sait ? ; et couper tous les canaux, rester chez soi avec un livre, en silence et regarder le ciel changer très lentement. Je coupe en deux la poire et m’en vais au boulot, écharpe et parapluie, mon statut, mon statut. Lundi, j’ai fait un micro infarctus ; ce n’est pas si désagréable.

Madame de Sade

Le regard de Mishima sur l’Occident est passionnant. Il fallait sans doute être étranger à notre culture, pour la saisir d’un coup de l’extérieur, dans ce bref texte dramatique qu’est Madame de Sade. Ce n’est pas seulement Sade qui y est vu par des femmes, c’est l’Ancien Régime (au deux premiers actes – 1772 et 1778 –, puis, la Révolution passant entre les actes II et III, le nouveau, celui sous lequel, par bien des aspects, nous vivons encore aujourd’hui…

La ruquiérisation du monde

Emmanuel Macron est chef d’État, Jean d’Ormesson a deux volumes en Pléiade, Michel Onfray un Cahier de l’Herne. L’époque est cohérente. (Merci à l’ami Pierre Paté pour cet intertitre.)

Épicurisme

Il y a, dans le petit livre de Mishima dont j’ai parlé plus haut, le Japon moderne et l’éthique samouraï, deux notes sur l’épicurisme. Dans la première, il parle de l’étonnant succès au Japon du roman philosophique d’un Anglais, Walter Pater, Marius l’hédoniste. L’auteur, « racontant le développement spirituel d’un jeune aristocrate romain au moment de l’essor du christianisme », « montre comment l’évolution philosophique de son héros le conduit au christianisme ».

Voici comment, en un paragraphe saisissant, Mishima lie épicurisme, stoïcisme, christianisme et voie du samouraï.

« On qualifie souvent la philosophie d’Épicure d’hédoniste. En réalité, elle est extrêmement proche du stoïcisme. Supposons que vous ayez rendez-vous avec une fille et que vous passiez la nuit à l’hôtel avec elle. Le lendemain matin, quelque peu abattu, vous allez à la première séance de cinéma. Ce que vous éprouvez alors, contenant avec peine vos bâillements devant un film de série B, n’a plus grand-chose à voir avec un plaisir hédoniste. L’hédonisme consiste à imposer à son cœur un certain nombre de règles strictes et à ne jamais les enfreindre. La philosophie d’Épicure rejette l’hédonisme charnel, le plaisir qui conduit à la désillusion, et la satisfaction qui dégénère en vide spirituel. La satisfaction est l’ennemie du plaisir et ne débouche que sur la désillusion. Épicure, de même que les philosophes de l’école de Cyrène, considère le plaisir comme le principe suprême d’une existence heureuse et vertueuse. Mais le but du plaisir est l’ataraxie, le calme divin auquel accède celui qui a renoncé à tout désir. Il écarte la peur de la mort, qui risquerait de compromettre le plaisir ainsi conçu : tant que nous vivons, la mort ne nous concerne pas ; lorsque nous sommes morts, nous n’existons pas ; il n’y a donc aucune raison de redouter la mort. »

Et l’argent, dans tout ça ?

J’essaie de faire cette chronique avec les livres autour de moi. Je suis fatigué de dire du mal de mes contemporains. Même ça, ils ne le méritent pas.

Pourquoi Mishima et le Hagakuré m’évoquent-ils le dernier Péguy, celui de la Note conjointe ? Celui où se préfigure en quelque sorte notre monde concret d’aujourd’hui ?

« Leur idéal, s’il est permis de parler ainsi, est un idéal d’État, un idéal d’hôpital d’État, une immense maison finale et mortuaire, sans soucis, sans pensée, sans race.
« Un immense asile de vieillards.
« Une maison de retraite.
« […] Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à cette retraite. Mais c’est pour en jouir, comme ils disent. »

Il faut dire que tout petit, le moderne aura été baptisé dans l’argent, via le livret de caisse d’épargne.

« Quand on donne aux gamins des écoles primaires des livrets de caisse d’épargne, on a bien raison. Car on leur donne le bréviaire même du monde moderne, un brevet de la tranquillité du monde moderne. […] Et on a bien raison de le présenter avec tant de cérémonie et comme un symbole et comme un couronnement et comme un coffret d’être et comme un coffret de la loi. De même que les Évangiles sont un ramassement total de la pensée chrétienne, de même le livret de caisse d’épargne est le livre et le total ramassement de la pensée moderne. »

On va ainsi, très vite, de l’utérus au sépulcre.

Aiguille & botte de foin

J’ai essayé de lire un recueil de poèmes. Je me suis beaucoup appliqué et plus encore ennuyé. C’est peu dire qu’on n’y est pas ni au premier vers du poème ni au énième ; qu’une sorte de point d’honneur retors est mis à ce qu’on n’y soit pas, qu’on ne puisse pas y être. Je pense que l’auteur ne va pas très bien et qu’il a besoin d’aide, mais que ce n’est pas une raison pour publier ça en l’état. Avec 80 % de coupes, on pourrait arriver à quelque chose de lisible et d’à peu près intéressant, avec même quelques beaux moments qui se détachent du lot. Mais qui va publier vingt-cinq pages ? Ou renvoyer son auteur extraire aux mines de charbon de la bêtise et du malheur confondus je ne sais quel grossier diamant qu’il restera encore à polir, pour le plaisir de quelques amateurs auxquels on tape dans le dos ?

Péguy / Yamamoto / Péguy

Dans la Note conjointe, Péguy poursuit, assène des conclusions :

« Tout un peuple prépare tellement la tranquillité de son futur qu’il anéantit son être de demain pour avoir dès aujourd’hui cette paix qui ne peut être que la paix d’hier. »

Je me vois assez bien là-dedans, comme je vois assez bien aussi la génération de mes parents. Et la France. Et l’Europe (c’est la paix). Et plus encore, l’Occident.

Dans son livre sur le Hagakuré, Mishima ouvre une seconde entrée au mot épicurisme ; il cite Yamamoto :

 « La vie humaine ne dure qu’un instant. Passons-le donc à faire ce qui nous plaît. En ce monde fugace comme un songe, c’est folie que de vivre misérablement, adonné aux seules choses qui nous rebutent. […] J’aime à dormir. Face à la situation actuelle du monde, je pense que je vais rester chez moi et dormir. »

Péguy, toujours dans sa Note conjointe, oppose à la formulation morale (et moderne) de ses maîtres laïcs et religieux : ne pas remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même, la maxime qu’à chaque jour suffit sa peine et cette idée que peut-être il ne faut pas penser au lendemain.

« Combien j’aimerais mieux cette maxime de M. Benda, qu’il ne faut jamais remettre au jour même ce que l’on peut faire le lendemain. Comme cette formule est exacte, comme elle est chrétienne et dispose ; et combien notre collaborateur est ici intelligemment bergsonien. »

Des oiseaux pour finir

En 1995, j’ai acheté Éloge des oiseaux de Leopardi. Un tout petit livre à 10 francs. Qui vaut aujourd’hui 3,48 euros (22,80 francs). Mais on le trouve en intégralité sur internet (il n’est guère plus long que cette chronique). Voici son premier paragraphe :

« Par une matinée de printemps, Amelius, philosophe solitaire, se tenait entouré de ses livres, à l’ombre de sa maison de campagne, et lisait. Touché du chant des oiseaux qui volaient à l’entour, il se mit à les écouter et à méditer, puis abandonna sa lecture. Enfin, il prit sa plume et, sur place, écrivit ce qui suit. »

Pascal ADAM

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