Traduire le vent

Traduire le vent
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« Nous sommes en 2020 et il est un peu tard, en France, pour écrire sur le théâtre. J’ai l’impression d’être en 1941 et d’écrire qu’on peut éviter la guerre. Je date, quoi. J’aurais mieux fait, me too, de gloser comme un automate sur les scandales en cours. » Au lieu de quoi, c’est avec Robert Bresson que notre chroniqueur Pascal Adam ouvre cette nouvelle année.

Restez chez vous
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J’ouvris les yeux. Il y avait un livre au pied du lit. Comme je ne voulais pas faire de bruit, je le pris, je le lus. C’étaient les Notes sur le cinématographe, de Robert Bresson. En les lisant, je me rappelai les avoir lues déjà, il y a longtemps, sans doute au XXe siècle.

Je trouve le cinéma un divertissement formidable, comme on dit un narcotique puissant. J’ai toujours peiné à le prendre pour un art. Bresson oppose au cinéma, sorte de théâtre filmé et copieusement tartiné de musique, ce qu’il appelle donc le cinématographe, duquel il énonce les lois, patiemment par lui-même découvertes.

« Pas de musique d’accompagnement, de soutien ou de renfort. Pas de musique du tout.
Il faut que les bruits deviennent musique. »

À rebours : le cinéma, mélodrame filmé, en somme.

Sans nous attarder ici à la différence que fait Bresson entre acteur et modèle, qui excèderait les dimensions de la chronique, disons simplement qu’en essayant de distinguer vraiment le cinématographe du théâtre, Bresson rend justice au théâtre ; et que cette justice qu’il lui rend en 1975, le théâtre lui-même en a plus que jamais besoin.

« Pas de rapport possible entre un acteur et un arbre. Ils appartiennent à deux univers différents.  (Un arbre de théâtre simule un arbre véritable.) »

L’acteur et l’arbre de théâtre simulent, sont homogènes. L’acteur et l’arbre réel n’ont rien de commun (l’un simule, l’autre non). Autrement dit encore :

« Le mélange du vrai et du faux donne du faux (théâtre photographié ou CINÉMA). Le faux lorsqu’il est homogène peut donner du vrai (théâtre). »

« Dans le mélange du vrai et du faux, le vrai fait ressortir le faux, le faux empêche de croire au vrai. Un acteur simulant la peur du naufrage, sur le pont d’un vrai navire battu d’une vraie tempête, nous ne croyons ni à l’acteur, ni au navire, ni à la tempête. »

Réintroduisons la musique et, comble du faux, le sommet de l’art dramatique, à un certain carat d’homogénéité (après quoi il semble bien que plus personne ne coure), est sans doute ainsi l’opéra.

« Impossibilité d’exprimer fortement quelque chose par les moyens conjugués de deux arts. C’est tout l’un ou tout l’autre. »

Souvenons-nous au surplus, gens de théâtre, que journalisme et sociologie ne sont pas des arts, ni même sans doute des disciplines. Et que nos opinions politiques les plus certaines sont de pâles foutaises, juste bonnes pour la déchetterie médiatique.

Nous sommes en 2020 et il est un peu tard, en France, pour écrire sur le théâtre. J’ai l’impression d’être en 1941 et d’écrire qu’on peut éviter la guerre. Je date, quoi. J’aurais mieux fait, me too, de gloser comme un automate sur les scandales en cours.

Je vais plutôt retourner écouter les sonates pour piano de Schubert par Mitsuko Ushida, en rêvant au matin où j’ai trouvé ce petit livre au pied d’un lit.

Le théâtre en effet ne peut faire ce qui suit ; le cinématographe, si :

« TRADUIRE le vent invisible par l’eau qu’il sculpte en passant. »

Pascal ADAM

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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique.



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