ESS & Culture (5) – Odile Lafond : l’audiovisuel et le documentaire ont aussi leur coopérative d’activité et d’emploi

ESS & Culture (5) – Odile Lafond : l’audiovisuel et le documentaire ont aussi leur coopérative d’activité et d’emploi
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Diplômée en Lettres modernes appliquées, Odile Lafond a travaillé comme coach scénique pour les musiciens de la Philharmonie de Paris entre 2007 et 2012, avant de prendre en charge la coopérative d’activités et d’emplois CLARAbis, fondée en 2012. Filière de la coopérative CLARA, CLARAbis regroupe un collectif d’entrepreneurs spécialisés dans les domaines audiovisuel, du numérique et du multimédia.

Le 14 novembre dernier, le Labo de l’ESS organisait une première rencontre publique autour des questions culturelles. Près d’une dizaine d’intervenants – universitaires, acteurs locaux, conseillers culturels – se sont succédé tout au long de l’après-midi, pour apporter leur éclairage propre à cette problématique spécifique. Profession Spectacle s’en fait l’écho, sans (encore) commenter, par la publication d’une série de retranscriptions des différentes interventions.

[Extraits de son intervention]

Qu’est-ce qu’une coopérative d’activités et d’emplois (CAE) ?

Une coopérative d’activités et d’emplois (CAE) est une structure juridique qui s’adresse à des porteurs de projets souhaitant devenir entrepreneurs. Être membre dans une coopérative permet de facturer, d’avoir des clients, pour qu’ensuite le chiffre d’affaires se transforme en salaire. Il crée ainsi leur propre emploi en tant que salarié.

La fonction de la coopérative est également d’accompagner ces porteurs de projets à devenir des entrepreneurs salariés, en les formant, en les professionnalisant par rapport à leur domaine d’entreprenariat.

Un cas unique : Clarabis

CLARA et CLARAbis sont deux coopératives basées à Paris : la première est une entreprise culturelle généraliste, où l’on retrouve du spectacle vivant, du design… CLARAbis est une société de production audiovisuelle, appartenant à Clara. Sa particularité est d’être la seule société de production qui est en forme, non pas de Scop [Société coopérative et participative, NDLR], mais de CAE.

Nos membres sont donc des « entrepreneurs-salariés-producteurs » : ils produisent leurs propres créations – chez CLARAbis, c’est du documentaire –, et sont dans le même temps professionnalisés pour devenir leur propre producteur. De ce fait, ils se salarient, et salarient d’autres personnes, avec ce qu’ils produisent.

Comment devient-on entrepreneur audiovisuel concrètement ?

Odile Lafond (© Pierre Gelin-Monastier)

Odile Lafond (© Pierre Gelin-Monastier)

Jusqu’à présent, un entrepreneur vient chez nous pour avoir une production. Avec nous, pour monter son projet, il s’auto-produit, donc il doit générer de la production ; et la production, c’est financier. Il faut savoir que l’audiovisuel est une industrie : on dépense beaucoup, on a des retours en production… Il faut que cet entrepreneur puisse apprendre ce métier de producteur, pour sa création ou celle d’autres personnes.

Le principe de la coopérative est qu’il va générer un chiffre et en même temps devoir vivre de ce qu’il fait. Donc, comme dans toute société de production, on a des ventes, des prestations techniques… On a aussi des réalisateurs qui vendent de la captation. C’est ce qu’ils vont faire : vendre, générer un salaire, selon leurs objectifs… Et parallèlement, ils vont préparer la production pour leur projet.

Rapports avec les instances officielles

Même si la coopérative les héberge, tous les entrepreneurs-salariés développent leur propre marque et sont reconnus par leurs clients et les autres producteurs comme des sociétés de production, avec des marques.

La coopérative travaille sur les mutualisations de coûts, dans une optique de solidarité. Notre point commun est de faire ensemble, de partager ensemble, de travailler ensemble pour que notre coopérative puisse avoir une notoriété et qu’elle se développe économiquement.

Il a fallu quatre à cinq mois pour que le CNC comprenne notre logique, c’est-à-dire comment on pouvait grouper des marques, différentes productions, et demander des financements pour trois à quatre films. Nous avons tout de même obtenu l’agrément du CNC. Si l’on a l’agrément de l’État, on peut essaimer.

Quelle est la particularité du secteur audiovisuel dans ce type de collaboration ?

Entre les coopératives d’activités et d’emplois culturelles, la coopération existe : on partage, on échange, on s’informe, on cherche ensemble, on se rencontre pour avoir des laboratoires de recherche…

C’est plus compliqué dans le secteur audiovisuel, qui est complètement attiré par le statut juridique qu’est la coopérative : on peut mutualiser autour de coûts, ce qui est toujours très intéressant.

Dans la culture, on connaît le système depuis des années. En revanche, dans l’audiovisuel, on ne reconnaît pas encore la coopérative d’activités et d’emplois. Ou plutôt, ce n’est pas qu’on ne la reconnaît pas, mais c’est difficile pour eux puisque le film, c’est de l’industrie, c’est du business : on vend et on relance en production. Toutes les personnes qui travaillent dans les équipes sont bien entendu rémunérées, beaucoup dans l’intermittence. Ce sont donc des codes un peu compliqués pour l’audiovisuel, qui commence seulement à écouter d’une autre oreille ce que nous proposons.

Quelles sont les évolutions possibles de ce modèle économique ?

Je pense que si on arrivait à essaimer ce modèle, ce serait bien. Les jeunes réalisateurs sont particulièrement réceptifs à la CAE, parce qu’ils ne veulent plus faire des boîtes de production, même s’ils ont de bons projets de création, juste pour payer le matériel et les films ; ils veulent aussi en vivre.

Nos coopératives se portent bien, ce qui est un signe. Le groupement, c’est la force, c’est l’intelligence collective, ce qui fait qu’on va penser ensemble. Cela demande un travail collaboratif intense, parce que nos coopératives sont des agences de compétences : chacun transmet les siennes…

De plus en plus de personnes sont intéressées par les CAE, mais l’entreprenariat nécessite un apprentissage, une éducation. Toutefois, un intermittent n’est pas un entrepreneur ; même s’il est indépendant, il est plutôt salarié. Un entrepreneur, c’est par définition un chef d’entreprise. Quand ils sont dans nos coopératives, ils ont vraiment ce souhait et cette envie de devenir chef d’entreprise. Être un chef d’entreprise, c’est embaucher, avoir des projets, monter des équipes, faire des budgets… On parle de travail à long terme, qui s’anticipe.

Propos retranscrits par Élodie NORTO et Pierre GELIN-MONASTIER

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Dans le cadre des BIS de Nantes, le 18 janvier prochain, Profession Spectacle organisera un atelier sur le thème : « Une économie sociale du spectacle est-elle possible ? » Il réunira :

  • Philippe Kaminski, ancien président de l’ADDES et actuel représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte d’Ivoire (RIESS)
  • Bernard Latarjet, conseiller culturel, auteur d’un rapport sur ESS & Culture pour la Fondation Crédit Coopératif
  • Stéphanie Thomas, présidente de l’Ufisc

Atelier modéré par Pierre Gelin-Monastier, rédacteur en chef de Profession Spectacle.



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