Auto-promotion ou auto-promotion ?

Auto-promotion ou auto-promotion ?
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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique.

« Restez chez vous »
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Tout à coup, et contre toute attente, le monde m’est apparu cohérent. Je serais bien en peine de vous dire quand c’était. Peut-être à la fin de l’enfance, quel que soit le moment où un tel événement n’est pas advenu. Mais depuis, le monde n’a pas cessé de se présenter tel à moi. Il a même pu me sembler depuis que sa cohérence en quelque sorte se resserrait, comme les mailles d’un tissu. Se resserrait sans cesse, comme s’il ne devait plus y avoir pour vérité jamais que cette cohérence, comme s’il ne devait plus exister que cette cohérence. Une cohérence folle. Totale. Une cohérence que rien ne devait plus pouvoir traverser, une cohérence imperméable et blindée, asphyxiante. Pardonnez-moi, je ne vais pas poursuivre ce paragraphe au-delà de cette phrase.

Comme beaucoup de gens, je passe trop de temps sur les réseaux sociaux ; principalement sur un, pour être exact, qui est bleu. J’ai là un réseau assez copieux d’amis, comme on dit, parmi lesquels un petit nombre en effet, connus et inconnus, sont des amis, des gens en tout cas que je considère tels. Il y a parmi ces amis un grand nombre de gens des milieux culturel et universitaire. Si j’excepte les choses personnelles et sans intérêt – photos de chats ou d’enfants, récits de pertes de clés et appels au secours –, l’activité consiste fréquemment en un commentaire, humoristique ou non, de l’actualité politique – l’humour concernant surtout la critique, la défense étant souvent sérieuse, sans rire ; ainsi qu’en posts culturels divers et souvent avariés – musiques de variété, sketchs de comiques, teasers de spectacles réputés vivants –, lesquels semblent avoir pour but, le plus souvent, de faire en sorte que l’auto-promotion, au moment qu’elle viendra – car inévitablement elle viendra –, n’apparaisse point trop putassière.

Cette vingt-sixième chronique, par exemple, une fois que Profession Spectacle l’aura publiée, finira épinglée sur mon mur bleu, et récoltera entre quatre et vingt-deux likes. Ce qui, hélas, me fera bien plaisir. Voilà, j’aurais fait mon auto-promotion, c’est formidable.

Tout de même, il me semble que quelque chose cloche.

J’ai de plus en plus de mal à faire ce qu’on appelle de l’auto-promotion. Par exemple pour les spectacles pour lesquels je travaille, soit comme auteur dramatique, soit comme metteur en scène, quand ce n’est pas les deux. Et, je tiens à le préciser, ce n’est en aucun cas parce que j’en aurais honte, mais peut-être parce que ces spectacles, par nature accessibles à peu de personnes parmi mes amis, ne les concernent potentiellement pas tous. Récemment, par exemple, je n’ai fait aucune mention d’un concert consacré à la musique d’Albert Roussel dans lequel je faisais office de récitant. Si je poste mes chroniques, en revanche, c’est peut-être parce qu’elles sont faites pour être lues sur internet, sur un web-magazine, et qu’il y a, en quelque sorte, unité de support.

Cela pourtant ne tient qu’en apparence. Il me semble que la chose est plus simple encore.

En général, l’auto-promotion consiste à faire, en toute modestie, de la publicité à une chose que l’on a faite soi-même afin d’inciter les gens à s’y intéresser, quelle que forme, pécuniaire ou non, que cet intérêt prenne. Par exemple, au hasard, un très modeste poète va très modestement mettre en avant le très modeste recueil qu’il vient de publier chez un très modeste éditeur ; voilà le principe. Un certain nombre d’amis vont liker. Un pourcentage infime des likeurs va se procurer l’ouvrage. Cela donne parfois lieu ensuite à d’amusants coups de gueules : « Comment ! j’ai 4991 amis, la photo de mon livre a été likée par 803 personnes, et je n’ai vendu que 6 exemplaires à 19 euros de mon chef-d’œuvre intergalactique de 3600 mots répartis sur 92 pages que vous feriez mieux d’acheter fissa si vous voulez piger quelque chose à la vie, bande de cons ! ». Je prends l’exemple du poète, mais cela marche presque aussi bien avec n’importe quelle profession intellectuelle ou artistique. Si je poursuis une seconde avec mon poète – imaginaire, bien sûr –, je peux même supposer qu’il fasse le lendemain un « test » et publie sur son mur un poème entier quoique bref : aussitôt 123 likes. Il en conclut que… Pardon, on s’en fout, de sa conclusion.

Cette auto-promotion ne fonctionne pas bien, parce qu’elle est ancienne, parce qu’elle n’est pas adaptée au média – n’oublions pas ce proverbe des temps nouveaux : « Si c’est gratuit, c’est toi le produit », mais je laisse volontairement ici de côté l’intérêt pour le média et ses clients de notre présence. Sur ce média, donc, l’objet à promouvoir, c’est vous-même, et votre esprit. Et on le fait bien mieux, bien plus légèrement, en parlant d’autre chose que de ce qu’on fait soi-même en-dehors de cette page virtuelle, en-dehors de ce mur.

Mieux vaut au final photographier son chat, son gosse, commenter l’actualité politique avec humour ou dire du mal des poètes qui ont du mal à fourguer leur came au chaland numérique, que d’essayer de vendre une place de spectacle, un livre, un chien, toutes choses ayant une existence physique concrète dans la vraie vie – qui est, comme l’a dit un autre publicitaire à la manque, ailleurs –, toutes choses qui demanderaient à un moment à vos amis qu’ils lèvent leur cul de leur chaise. Même mes chroniques, qui ne demandent qu’un clic pour se rendre sur le site de Profession Spectacle, seront moins lues que si je les copiécollais (du verbe copiécoller) directement sur mon mur, où, déjà, elles seraient beaucoup moins lues qu’un statut court, demandant un effort minimum. Quand je pense à tout ce temps passé à écrire cette fichue chronique, et au peu de likes qu’elle va me rapporter, je me dis que ma vie n’est vraiment pas rentable, même en monnaie de singe narcissique.

« C’est à tort que le genre humain se plaint de sa nature, et déplore que, impuissante et de courte durée, son existence soit régie par le hasard plus que par le mérite. » Ainsi commence La Guerre de Jugurtha de Salluste (86-34 avant Jésus-Christ) que je viens de feuilleter à l’instant au cours d’une pause. La place de cette citation paraîtra mystérieuse, sans doute, et il faut me pardonner de conclure brutalement, en sautant moult étapes, mais je veux à tout prix faire une chronique courte et je me suis encore embarqué dans quelque chose qui demanderait de longs développements. Je prends donc le risque de frustrer l’éventuel lecteur que mon propos aurait intéressé jusqu’ici.

Si vous avez fait quelque chose qui vous importe vraiment, n’en parlez pas en public, nulle part, et le moins possible en privé.

Pascal ADAM

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