La couleur de peau qui déplace la colline à gravir

La couleur de peau qui déplace la colline à gravir
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Où notre idiotique chroniqueur amusé s’appuie sur la polémique relative à la traduction des poèmes d’Amanda Gorman pour prédire que tout va aller en s’arrangeant, c’est certain, il n’y a pas besoin de bouger son cul pour arrêter le crétinisme éveillé (woke).

RESTEZ CHEZ VOUS

Je ne voulais pas commencer si violemment, mais il faut que je vous dise : la couleur de peau d’un écrivain, je m’en fous. Comme de son sexe, d’ailleurs, et de ce qu’il peut bien en faire ou, d’ailleurs, ne pas en faire. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il écrit. Il écrirait sans doute autre chose s’il était quelqu’un d’autre, je sais bien… et après tout, peut-être que s’il écrit d’une manière qui retient mon attention, tout m’intéresse ou peut m’intéresser : je veux dire qu’il se pourrait qu’accéder à des manières de penser radicalement différentes de la mienne, du fait de la personnalité de l’auteur, de l’époque et du lieu d’écriture, ou d’un mélange varié de tout cela, soit ce qui motive le lecteur occasionnel que je suis.

Par bonheur, ce matin, la bêtise m’amuse. Alors, la dernière polémique proposée par les Eveillés (c’est amusant, de traduire le mot woke. On voit bien, avec le mot « éveillé », que ça pue la secte, que mieux, ça ne s’en cache pas, que ça sent un peu l’illuminé, que c’est un trait massif de la grande sectarisation des universités quand elles n’ont plus rien d’universel, la gouroutisation débile en marche vers l’analphabétisme à diplôme de sociologie non-binaire intégré.), à propos de Marieke Lucas Rijneveld, la traductrice néerlandaise d’Amanda Gorman, jeune poète américaine auteur de The Hill we climb et récemment révélée lors de l’investiture de Joe Biden.

Une militante « éveillée », Janice Deul, se serait émue (mon œil !) sur un réseau social que la traductrice retenue (accessoirement lauréate à 29 ans du Booker International Prize) ne soit pas noire ! Quelle stupéfiante intelligence ! Vraiment, oui, quelle profonde intelligence de l’art délicat, difficile, insatisfaisant toujours, de la traduction !

Est-on seulement assuré de trouver jamais un traducteur du même sexe, de la même couleur de peau exactement, de la même religion (qu’elle en ait une ou non), la même orientation sexuelle ? Du même âge, de la même taille, au centimètre près, et du même poids, au gramme près ?

Allons plus loin. Si Amanda Gorman avait parlé couramment le néerlandais, peut-être se fût-elle traduite elle-même ? Lors, comment quelqu’un qui serait néerlandais et écrirait dans cette langue, quand même il respecterait tous les autres critères susmentionnés, pourrait-il comprendre réellement Amanda Gorman ? Non, non, nous voyons bien ici que seule une personne ne parlant pas le néerlandais devrait traduire Amanda Gorman en néerlandais ; et même, en dernière analyse, que cette personne devrait être Amanda Gorman. Le hic étant justement qu’elle ne connaît pas le néerlandais. Enfin, j’imagine. Mais Amanda Gorman est jeune et intelligente : elle peut l’apprendre. (J’espère tout de même qu’elle a autre chose à faire.)

N’empêche, Marieke Lucas Rinjeveld, la traductrice retenue, romancière également, et qui se dit elle-même « non-binaire » (je ne sais pas trop ce que cela veut dire, étant pourtant moi-même non-pleindetrucs), a tenu à faire savoir, avant de démissionner de son poste, qu’elle comprenait que des gens soient choqués que le choix des éditeurs se soit porté sur elle. Ça en devient rigolo.

À mon avis, tous ces gens ont fait un pari un soir qu’ils s’étaient pris une cuite : ils ont parié que tout le monde allait s’écraser devant leur délire neuneu et il faut admettre qu’ils ont remporté le pari sans la moindre difficulté.

Je me demande pour plaisanter (tout en craignant que la réalité bientôt ne rattrape mes élucubrations) si cela va suffire, et s’il ne faudrait pas que toute la maison d’édition, du patron à l’imprimeur, soit du taux de mélanine requis dont je propose, à des fins de simplification et de transparence, qu’il soit désormais systématiquement accolé au nom de l’auteur ? Je me demande même si un lecteur comme moi, dont le sexe, l’âge, la taille, le poids, la religion, et, last but not least, le taux de mélanine ne sont pas le même que ceux de l’auteur en question, devrait être autorisé à poser un œil, vert en plus, sur une page de la poésie de Mme Gorman.

Ce qui est amusant, c’est qu’il n’est pas du tout question ici de qualité de traduction. Je crois bien que Janice Deul et les autres Eveillés de la compagnie débile s’en tamponnent foutrement le coquillard. Je crois au fond que la poésie, si difficile à traduire, est le cadet de leurs soucis : leur seul souci est d’assurer leur pouvoir ; qui est racial. C’est le progrès, paraît-il.

En France, les éditions Fayard ont été plus malignes que leurs collègues néerlandais et ont confié la traduction des poèmes d’Amanda Gorman à une chanteuse de variété connue sous le nom de Lous and the Yakusa, qui n’a jusque-là rien traduit, mais est semble-t-il d’un taux de mélanine compatible à l’auteur. (Pour qu’il n’y ait ici aucune ambiguïté, je souhaite que cette traduction soit la meilleure possible et qu’elle permette au lecteur de bonne foi de se faire une idée des poèmes d’Amanda Gorman.)

J’espère surtout, afin de réduire le nombre de livres publiés, que sur un modèle similaire, seul des traducteurs morts pourront désormais traduire des auteurs morts.

Pour des lecteurs morts, de préférence.
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Lire aussi :
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Ou, plus sérieusement, comme le dit l’universitaire et éditeur, mais surtout traducteur, Jean-Yves Masson : « Si seul le Même a le droit de traduire le Même, il n’y a tout simplement plus de traduction possible. »

Au moment d’envoyer cette chronique à mon rédacteur-en-chef intelligent, honnête et cultivé, quoique journaliste, je découvre la publication sur sa page Facebook du traducteur André Markowicz, dont je donne deux extraits :

« Mais le premier point est là. Marieke Rijneveld est blanche. En tant que blanche, d’après Janice Deul, elle ne peut pas comprendre une noire. Le fait est qu’Amanda Gorman n’est pas simplement noire : elle est aussi fille de mère célibataire, elle a eu des problèmes d’élocution qui ont fait croire à un retard mental. Peut-être faudrait-il en plus, que sa traductrice soit noire et fille de mère célibataire et ait eu des problèmes d’élocution ?… Ou le fait d’être noire suffit-il à comprendre une enfant noire qui a été dyslexique ? Et pourquoi une blanche, dyslexique ou non dans son enfance, fille ou non d’une mère célibataire, ne pourrait-elle pas le sentir ?

Et que se passera-t-il si Amanda Gorman est traduite, je ne sais pas, en chinois, ou en japonais, ou en russe ? Il faudrait quoi, chercher une chinoise noire qui aurait été dyslexique dans son enfance ?… »

« Cette idéologie de l’atomisation de l’humanité selon la couleur de la peau, qui veut qu’un, qu’une, noir, noire, (je suis inclusif) ne puisse être compris que par un, une, noir, noire est le contraire absolu de la traduction, qui est, d’abord et avant tout, le partage et l’empathie pour l’autre, pour ce qui n’est pas soi : ce que j’appelle la « reconnaissance ».

Moi, interdire a priori à un blanc de traduire un noir me rappelle un orthodoxe russe qui me disait que mes traductions de Dostoïevski étaient douteuses parce que je n’étais pas orthodoxe, et que seul un orthodoxe pouvait comprendre un orthodoxe — il ne disait pas un Russe, parce que nous étions dans un contexte de rencontre « amicale », mais il voulait dire ça : un Juif ne peut pas traduire un russe, parce qu’un Juif ne comprend pas « l’âme russe », ni « le vécu russe ». Mais, pire encore : je ne suis pas que blanc, je suis un mâle blanc. Et donc, ai-je le droit de traduire Marina Tsvétaïéva et Anna Akhmatova, ou, maintenant, de me consacrer à Kari Unksova (militante féministe, qui plus est, assassinée en 83 par le KGB). Non, je n’ai pas le droit, puisque je n’ai pas le même vécu. Or, toute ma vie, je traduis. »

Et sinon, cher lecteur, comment traduiriez-vous « The hill we climb » ?

Pascal ADAM

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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique.



 

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